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sant effort de dialectique dans l’Esquisse d’une classification systématique des doctrines philosophiques — on a soutenu que les problèmes de cet ordre nous placent définitivement en présence d’une alternative à laquelle un acte de volonté (ou de liberté) peut seul mettre un terme. L’autre jour, dans un article très bienveillant que la Gazette de France consacrait à la Revue de Métaphysique et de Morale — et dont nous remercions bien sincèrement l’auteur, — on nous faisait remarquer que la spéculation philosophique conduit à un doute final dont on ne peut sortir que par une affirmation qui n’est plus spéculative. Peut-être ; mais cette idée est elle-même bien digne de discussion. En tout cas, on ne niera pas que les systèmes les plus contraires offrent un développement de doctrines qui relève de la commune logique, et où le raisonnement décide seul de la vérité à partir de certains principes. Il y a donc dans tous les systèmes une large place pour la discussion. Et quant aux principes eux-mêmes, en accordant qu’ils empruntent leur force au terrain particulier où ils ont poussé leurs racines, ne trouverait-on pas encore un grand profit à les comparer ? Ainsi nous apprenons nous-mêmes à connaître nos limites en nous comparant à nos émules, sans pour cela sortir de nous. Après tout, à moins de s’en tenir au pur scepticisme, ce qui sans doute coupe court à la discussion, il faut bien en venir à reconnaître que, d’une manière ou d’une autre, les esprits individuels expriment l’esprit absolu, quoique diversement, et que la diversité de leurs préférences témoigne seulement de la particularité et de l’imperfection de cette expression. Mais il semble alors que les principes où chaque pensée se fonde sont inégalement vrais, et que la discussion doit le faire paraître à tous les juges compétents certainement, et peut-être à celui-là même qui n’avait pu s’élever d’abord à des vues assez hautes. La discussion ne détournerait donc pas nécessairement le penseur de lui-même ; mais parfois elle lui apporterait les idées dont il a besoin pour achever son propre système. Car les conceptions philosophiques consistent essentiellement dans des synthèses d’idées contraires : l’idée de la liberté aurait-elle encore un sens, séparée absolument de l’idée de la nécessité ? l’idée du phénomène de l’idée de l’être ? et ainsi de suite. Les diverses opinions qui renouvellent sans cesse les idées sont donc l’aliment dont chaque esprit forme sa pensée : c’est ce que le sens commun a pressenti lorsqu’il a dit bonnement que du choc de la discussion jaillit la vérité.

Et maintenant que les objections de principe sont écartées, nous pouvons ajouter, à un point de vue simplement pratique, que la discussion a cet avantage de troubler l’indifférence, qui est le grand ennemi de la vérité. Sans doute la vérité triomphera à la longue ; et la postérité, comme Dieu, saura reconnaître les siens. Mais est-il donc sans importance d’avancer l’heure où elle éclatera ? Et en attendant est-il sans utilité d’empêcher que les idées originales tombent dans le silence et échappent, que les idées anciennes s’oublient et nous donnent la peine de les retrouver ? De ce double inconvénient nous voudrions citer un exemple. L’autre jour, M. Marillier, dans un compte rendu qu’il nous donnait de la psychologie de W. James[1],

  1. Revue philosophique, fév. 1893.