Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/178

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les deux termes de cette conception. Contre le mécanisme, son argumentation se ramène à un seul point ; dans la thèse du mécanisme universel, un phénomène quelconque, étant en connexion avec la totalité des phénomènes de l’univers, ne peut être considéré comme absolument expliqué que si l’on parcourt toute la série des conditions de ce conditionné, c’est-à-dire si l’on embrasse dans une formule l’universalité des phénomènes. Or la conception d’une telle formule est contradictoire comme la conception du plus grand nombre ; elle suppose un infini quantitatif réalisé, ce qui est absurde. Une existence particulière ne pourra donc pas être expliquée par le mécanisme, puisqu’il faudrait y faire entrer la considération d’un infini. « Quelle sera donc la portée du mécanisme ? de l’explication par le mouvement ? Elle ne peut être qu’une considération partielle de la réalité concrète ; elle est une explication abstraite, elle ne saurait expliquer la constitution des êtres organisés et vivants ». Et maintenant, que faut-il penser de la finalité ? Tout d’abord, M. Dunan nous montre que si l’on considère la fin comme transcendante, il sera impossible d’établir une relation de moyen à fin entre la nature et cet idéal suprême. D’autre part, si l’on considère la fin comme immanente, on aboutit à une conception anthropomorphique, parce que l’harmonie qu’on suppose dans les choses n’est qu’une affection subjective de notre sensibilité qu’on ne saurait donner pour une explication objective. M. Dunan ajoute, en reprenant l’argument qu’il avait proposé contre le mécanisme, que la finalité suppose, elle aussi, une infinité de conditions. Enfin la finalité est incapable de rendre compte de l’action de l’idée sur la tendance.

En résumé, mécanisme et finalisme sont impuissants à expliquer la vie. L’erreur commune à l’une et à l’autre explication tient à ceci : elles supposent que les choses existent par progression et composition de leurs éléments. Elles vont ainsi des parties au tout. Or la vraie méthode est inverse : c’est la méthode régressive qui du tout réel et concret remonte aux parties élémentaires. Si l’être vivant n’est pas composé, il faut qu’il soit un. Quelle sera la nature de cette unité ? Sera-ce une unité abstraite, vide, au sens où l’entendent certaines doctrines spiritualistes ? Sera-ce l’unité d’une simple agglomération ? on ne saurait le soutenir. « Dès lors il ne reste plus qu’une manière possible de concevoir l’unité de l’être vivant, c’est de la concevoir comme une unité primordiale et véritablement substantielle, sans antécédents et sans causes, et dont pourtant la loi fondamentale est de se déployer à l’infini à travers le temps et l’espace, sous la forme d’un corps organisé et vivant, embrassant dans ses limites l’univers total[1]. » Mais cette définition de l’être substantiel n’est pas encore sulfisante, il importe de la préciser. Concevoir l’unité comme une entité abstraite ne nous a pas paru suffisant : d’autre part, toute totalité actuelle est inconcevable. « Il y a quelque chose dans la nature corporelle… qui possède toute la transcendance qu’on peut exiger d’un premier principe ; c’est le tout d’une multiplicité indéfinie et par conséquent non totalisable[2]. »

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