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II


Nous pouvons, maintenant, examiner quelques-unes des difficultés que soulèvent les solutions que propose M. Dunan.

Le premier point qu’examine M. Dunan est la thèse du mécanisme ; il ne pense pas que l’explication mécaniste soit légitime. En effet, pour expliquer intégralement un phénomène au point de vue mécaniste, il faudrait le rattacher à l’universalité des phénomènes du monde (qui tous le déterminent en quelque façon), il faudrait renfermer dans une formule actuelle un nombre infini de conditions, conséquence absurde, comme la conception du plus grand nombre. L’explication mécaniste n’a donc pas la portée universelle qu’on lui donne souvent. Tout d’abord, ne doit-on pas entendre un peu autrement l’universalité de l’explication mécaniste ? Lorsqu’on parle de l’universalité du mécanisme dans le système mécanico-téléologique, on entend dire par là, semble-t-il, qu’il est une loi universelle et abstraite. Or une formule scientifique ne prétend pas renfermer la totalité des phénomènes de l’univers, elle exprime seulement leur loi. Une série de termes en nombre indéfini peut être considérée comme suffisamment déterminée lorsqu’on connaît sa loi de développement, et il n’est pas nécessaire — la tâche serait d’ailleurs impossible — de faire entrer dans la formule tous les termes de la série : la loi de développement de la série a une valeur universelle en ce sens qu’elle est vraie pour un terme quelconque de la série. Elle a exactement la portée d’une méthode abstraite et universelle. Il est donc possible, tout en conservant au mécanisme son universalité, d’échapper à l’objection du nombre infini réalisé. Il est vrai que nous n’échappons à une première difficulté que pour en soulever une autre, peut-être plus grave. En effet, si l’on réduit le rôle de la science à la recherche de lois abstraites et générales, si l’on en fait un système de formules analytiques, son progrès consistera à supprimer toute détermination particulière ; on pourra donc dire qu’elle se détruira dans son développement même, puisque des conceptions générales et abstraites ne sauraient subsister par elles-mêmes et qu’elles ont nécessairement besoin pour garder un sens d’une possibilité d’application concrète et particulière. Il semble donc qu’il y ait une contradiction au sein même de la science. Nous touchons ici à un des points les plus importants de la critique des principes de la science : il s’agit de savoir si le jugement scientifique est purement abstrait, général, analytique (le mouvement même de la pensée scientifique tendrait alors à supprimer tout contenu empirique) ou s’il est synthétique (c’est-à-dire s’il unit d’une manière concrète la loi à un contenu particulier que l’on ne pourrait en séparer). Peut-être faudrait-il dire que le jugement scientifique n’est ni analytique, ni synthétique, mais qu’il est intermédiaire entre ces deux sortes de jugements. C’est cette dernière thèse que nous essayerons de démontrer. Tout d’abord y a-t-il des jugements absolument formels ? On a essayé d’établir que les jugements de l’analyse mathématique avaient ce caractère. Nous ne pensons pas qu’il soit légitime d’établir une distinction absolue —