Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/236

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sait cependant que cette route l’a conduit au scepticisme le plus radical. On aimerait mieux risquer de s’égarer que d’aboutir à un pareil résultat ! La vraie méthode, par bonheur, ne mène pas nécessairement à des conclusions sceptiques, et Hume les aurait lui-même évitées s’il avait mieux compris que la philosophie doit être critique avant tout, que sa première tâche et la plus importante est de découvrir parmi les faits la loi de la pensée. Telle est cependant l’excellence de cette méthode que, même imparfaitement appliquée, elle a révélé au philosophe écossais des vérités désormais assurées. Le premier, en effet, il a proclamé que la croyance naturelle dans laquelle nous sommes tous nés et nous avons tous grandi, celle à la fois qu’il y a des substances corporelles et des substances spirituelles, des corps et des esprits, est logiquement contradictoire et ne s’accorde pas avec les faits. Mais, faute de connaître la loi fondamentale de notre pensée et, par elle, la vraie cause de la double illusion qui nous fait apparaître, hors de nous, des objets réels, indépendants les uns des autres, et, en nous, une substance, un moi un et identique, il a dû s’ingénier à proposer de subtiles raisons de la croyance vulgaire, sans pouvoir rien affirmer au delà. Le caractère illusoire de cette croyance n’en était pas moins définitivement établi ; il fallait seulement, à ce phénoménisme sceptique de Hume, superposer, pour en faire un phénoménisme dogmatique, une théorie exacte de la connaissance, plus vraie et moins compliquée que le laborieux appareil des explications kantiennes. Cette théorie de la connaissance, Spir était convaincu qu’il l’avait trouvée, et, par elle, la vraie théorie de la nature des choses.

Comment s’en assurer cependant, s’il n’y a pas, comme on l’accorde généralement, de critérium de la vérité ? Mais peut-être doit-on admettre que cette doctrine seule sera vraie qui, à la fois, ne contiendra pas de contradictions internes et externes, et au delà de laquelle on ne saurait imaginer rien de plus simple. Nec plus ultra, telle serait, en ce sens, la devise de la philosophie ; mais à quel moment peut-on la formuler et qui en a le droit ?

Or aucune doctrine n’est plus simple, à première vue, que celle, je ne dis pas de Kant, mais de ceux qui se laisseraient conduire par une logique rigoureuse aux conséquences extrêmes de son système : une seule réalité, à proprement parler, et qu’il est impossible de mettre en doute, le fait de penser et ses lois ; à ce fait, à l’acte de penser, suspendues toutes les autres réalités apparentes qui n’exis-