Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/238

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reproduire un contenu étranger et d’en affirmer en même temps la réalité. C’est comme un miroir, mais un miroir qui a la propriété singulière de savoir ce qu’il représente et de se l’affirmer à soi-même. Il est dès lors impossible de voir en quoi ce qui représente a plus de réalité que ce qui est représenté, ou la pensée phénoménale — et la conscience n’en saisit pas d’autre, — que ses objets. Mais ces objets ne sont pas ce qu’ils apparaissent, ils n’ont, eux aussi, qu’une réalité purement phénoménale. Nous allons montrer successivement qu’il en est bien ainsi pour les objets et pour les pensées.

Les objets auxquels nous pensons ne sont pas ce qu’ils paraissent être. Toute notre expérience, il est vrai, semble se rapporter à des corps dans l’espace, à nous-mêmes, et, par induction, à d’autres êtres intérieurement semblables à nous et dont les corps, comme le nôtre, font partie du monde matériel. Spir n’a aucune peine, après les travaux de Berkeley, de Hume et de Kant, pour ne citer que ces noms, à montrer que le monde sensible se réduit, en définitive, à de pures sensations. C’est d’ailleurs une opinion courante aujourd’hui, admise également par tous ceux qui réfléchissent, sensualistes ou rationalistes, que le réel, et comme le solide de la connaissance empirique, est constitué par les données des sens. Seulement ces données, d’après lui, diffèrent toto genere des idées dont elles sont les objets. Sur ce point, Spir se sépare complètement des sensualistes qui voient simplement dans les idées une reproduction affaiblie de la sensation. Entre la croyance ou l’affirmation d’existence qui constitue, pour lui, l’idée, et la simple existence, il y a un abîme ; cette croyance, cette affirmation est un fait absolument nouveau que la sensation ne saurait produire d’elle-même : c’est le nisi ipse intellectus ajouté par Leibniz à la devise sensualiste.

Le monde que nous découvre l’expérience extérieure n’est donc pas un monde de corps ; les objets représentés par nos idées comme des objets sensibles ne sont donc pas des choses dans l’espace, mais nos sensations ; voilà les éléments auxquels se ramènent, par une exacte analyse, toutes nos perceptions.

Le monde intérieur que nous découvrons par la conscience se résout également en de purs phénomènes : ce sont d’abord toutes nos idées, quel qu’en soit l’objet, et qui peuvent devenir à leur tour les objets d’autres idées ; ce sont ensuite les sensations de plaisir et de peine, les déterminations enfin, et ces derniers phénomènes, volitions, peines et plaisirs, sont des objets pour certaines idées comme