Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/256

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condition une illusion, constitue, en vérité, le plus solide fondement de notre liberté et de notre personnalité. Car cette découverte nous élève au-dessus des lois et des conditions de notre nature empirique. » Notre véritable moi n’est donc pas dans notre individualité, il se confond avec la vraie substance, ou, pour employer l’expression la plus juste, avec Dieu même. Nous nous élevons au-dessus de la nature, nous connaissons précisément comme la loi de notre être vraiment propre celle d’obéir non pas aux impulsions naturelles, mais à des lois d’un ordre supérieur, aux règles de la pensée et de la volonté, aux lois logiques et morales : la liberté consiste à suivre ces lois.

Sans doute, même quand nous sommes arrivés à ce point de vue, notre conscience reste soumise aux conditions naturelles. Un choc sur le cerveau peut nous priver de toute connaissance ; des modifications maladives du cerveau peuvent nous rendre fous. Mais tant que nous avons conscience de nous-mêmes, nous nous maintenons par cette découverte au-dessus de la nature. « Notre dépendance, vis-à-vis de la nature, dit encore Spir, aussi bien que notre élévation au-dessus d’elle peuvent s’exprimer en une seule proposition : dans l’homme la nature empirique parvient au sentiment, à la conscience de sa propre anomalie et s’élève ainsi au-dessus d’elle-même, jusqu’au divin. »

La connaissance vraie et la pure disposition morale ou vertueuse sont donc, en un sens rationnel et non par métaphore seulement, quelque chose de divin, de surnaturel, parce qu’elles existent en conformité avec les lois les plus hautes, avec les lois surnaturelles de la pensée et de la volonté. Spir trouve là même l’occasion de déterminer ce que l’on doit considérer comme la constitution normale de l’esprit, et il le fait en des termes qui ne manquent pas de finesse et d’originalité : « Ce qui vaut ordinairement, dit-il, pour l’état normal de l’esprit, n’est séparé par aucune ligne précise de l’état de maladie mentale, et il est souvent malaisé de décider si quelqu’un a l’esprit sain ou malade. En effet, la constitution naturelle de l’esprit, celle que l’on tient d’ordinaire pour normale, implique qu’on est encore embarrassé dans l’illusion naturelle et dans l’égoïsme dont elle est le fondement ; elle recèle, par suite, force déraisons et faux jugements, et ce n’est pas là précisément ce qui diffère beaucoup d’une maladie mentale. Sans doute, il ne faut pas prétendre trouver dans notre monde la constitution parfaitement