Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/257

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normale de l’esprit ; elle n’appartient qu’à Dieu, la seule vraie substance. Mais dans le sens relatif, le seul possible pour nous, est normal l’état de cet esprit qui tend de toutes ses forces vers le divin. Dans cette tendance réside la plus haute personnalité et la perfection de l’individu. »

Venus en ce monde vides de tout contenu qui nous appartînt en propre, car cela même qui est inné en nous est le produit de conditions antérieures, nous devons nous détacher par degrés de tout ce qui est individuel, sentant ou comprenant que notre moi empirique repose sur une illusion, que notre vrai moi, notre essence est en Dieu, à qui est étrangère la distinction des individus. Et bien loin que la philosophie et la religion soient opposées l’une à l’autre, elles sont deux manières différentes de constater la même anomalie dans le monde de l’expérience, dans les objets de nos jugements, les mêmes lois en nous, dans les sujets jugeants. La philosophie en est la constatation théorétique par l’organe de la pensée ; la conscience morale et la religion en sont la constatation pratique par l’organe du sentiment. C’est grâce à la connaissance de ces lois que nous pouvons comme sujets jugeants nous élever au-dessus de nous-mêmes comme objets jugés, nous condamner ou nous absoudre. La philosophie démontre que la nature physique ou empirique des choses, en nous ou hors de nous, est anormale, parce que les objets de l’expérience n’ont pas de nature qui leur soit vraiment propre, et cependant paraissent faussement en posséder une, c’est-à-dire être des substances. Or notre nature morale et religieuse repose aussi sur le sentiment de l’anomalie des choses de ce monde, de leur tendance à se nier et à s’anéantir elles-mêmes, comme nous l’éprouvons immédiatement quand nous souffrons. La moralité n’est donc point fondée, comme le croyait Kant, sur une simple abstraction, sur le respect de la raison et de la généralité de ses maximes, et la preuve la plus claire en est que les hommes moraux ou vertueux ne sont pas tant ceux qui s’adonnent aux abstractions que ceux qui ont le sentiment moral développé. La loi morale ne dit donc rien de plus que ceci : « Fais le bien, évite le mal », et la religion : « Il y a quelque cliose de purement bon et de purement vrai, puisque le bien et le mal, le faux et le vrai, sont, par leur nature, opposés ». L’homme moral et religieux arrive aux mêmes conclusions que le philosophe, par l’intuition du sentiment, et il fait mieux encore, il agit conformément à ce sentiment. Que des causes non physiques,