Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/308

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alors que le mythe a pour objet d’exprimer ce qui est purement instable et mobile. Un mythe doit être vécu, et non compris. L’idée de personne, par exemple, à ce point de vue, n’est que la fixation, par la dialectique, de l’idée morale d’expiation. Il faut réaliser en nous le règne de l’idée ; il faut renoncer au monde sensible : voilà ce qu’exprime la forme poétique et symbolique du mythe. Car, en dernière analyse, le mythe seul est capable d’exprimer ce qui est, par définition, inexprimable en termes scientifiques, — les idées de développement, ou de devenir, — d’expiation, ou de devoir être. « Savoir les choses de l’amour » est donc bien le commencement, la première démarche de la réflexion ; car l’amour est fils de Poros et de Pénia, un intermédiaire entre la terre et les dieux, entre l’immortel et le mortel, entre la sagesse et l’ignorance ; l’amour est philosophe (φιλοσοφῶν).

La dialectique. — L’idée du beau. — Ainsi l’idée d’un Dieu créateur, l’idée d’une matière première, l’idée du Bien, loin d’être des termes de l’analyse platonicienne, ne sont que des aspects du mythe, des expressions diverses pour fixer et interpréter l’idée d’une pensée qui devient. En ira-t-il de même de l’idée du Beau ? Nous avons vu que la vertu platonicienne n’était pratique que par provision, mais spéculative et contemplative dans son essence. « L’idée du Bien va se perdre dans la forme du Beau ». Car le Bien est la fin d’une action, tandis que le Beau est l’objet d’une intuition. Mais le Beau, pas plus que le Bien, n’est le terme de la réflexion dialectique ; ici encore, pour la dernière fois, nous avons à démêler la part du mythe et la part de la dialectique.

« La dernière démarche de la raison, l’acte spécial qui lui est propre, et qui couronne tous les autres actes », c’est l’acte par lequel elle « contemple » le « premier principe de toute idée », et cela par un acte simple, direct d’intuition (θέα) (p. 107). Ce premier principe, M. Bénard l’appelle le « bien absolu ». Mais il semble bien que le vrai nom en soit le « beau » et non « le bien », dès qu’il est représenté non comme la fin de nos actions, mais comme l’objet de notre contemplation. Or, si nous consultons tous les endroits où Platon a défini la νόησις, sans mélange d’aucun élément mythique, la νόησις cesse d’être cet « acte simple d’intuition » par lequel la pensée saisirait une existence absolue. L’intelligible (τὸ νοητόν) s’oppose au sensible (τὸ αίσθητόν) comme le distinct (κεχωρισμὲνον) au confus (συγκεχυμένον)[1] ; la νόησις c’est le pouvoir d’abstraction grâce auquel nous sommes capables de décomposer l’apparence d’une « chose sensible » en relations intelligibles. — La νόησις s’oppose d’autre part à la διάνοια, par son universalité. La διάνοια, l’entendement scientifique, accepte pour points de départ des hypothèses qu’il ne soumet pas elles-mêmes à la critique. La νόησις se propose pour objet de critiquer et de systématiser les hypothèses mêmes sur lesquelles les sciences spéciales se fondent[2] : elle dresse une table des idées premières (τὰ μέγιστα τῶν γενῶν )[3]. Mais Platon ne nous dit nullement qu’elle soit un « acte simple d’intuition », Elle est universelle, à la différence de

  1. Répub., 524 c.
  2. Ibid., 511.
  3. Sophist., 254 c.