Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/310

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d’une manière ou d’une autre, est. — Non, répond Spinosa, la passion est une idée confuse ; en tant que passion, elle n’est pas et ne commence à être que lorsqu’elle devient idée distincte. Ce qu’il faut dire, c’est que l’idée adéquate doit être, et traduire la métaphysique des deux premiers livres dans le langage moral des trois derniers. — De même on pourrait dire que chez Platon, l’idée est, au sens où la sensation n’est pas. — Et cependant la sensation existe, d’une certaine façon, au même sens que l’idée, puisqu’il y a en nous conflit du point de vue sensible et du point de vue intelligible. — Non, répondra Platon, il ne faut pas dire : la sensation est, mais l’idée est présente (πάρεστι) à un devenir, — l’idée, pourrait-on dire, sans trop forcer sa pensée, devient. Il nous faut traduire la dialectique sous la forme du mythe. — La question est de savoir si les idées mêmes du devoir être et du devenir ne nous obligent pas à modifier le caractère de la méthode idéaliste, à substituer à un idéalisme théorique un idéalisme pratique. S’il est vrai de dire, avec Platon, que la réflexion analytique résout toute sensation en une dualité, la question est de savoir si cette dualité est, comme le voudrait Platon, une dualité de termes intelligibles, et non un intelligible, d’une part, et, de l’autre, un inintelligible, un sensible, ou encore, en termes aristotéliciens, une forme et une matière. Ainsi se trouverait justifiée, par des raisons dialectiques, l’évolution historique qui fait succéder au pur idéalisme de Platon ou de Spinosa le spiritualisme péripatéticien ou leibnizien et le moralisme stoïcien ou kantien, si l’on nous permet ces expressions. — Une telle appréciation, que nous ne pouvons ici développer, fondée sur l’examen de la méthode même de Platon, et sur l’observation de la suite des systèmes, paraîtrait peut-être dès à présent autrement légitime que les hâtives conclusions de M. Bénard, qui, négligeant l’étude de la méthode de Platon, s’est borné à condamner sa physique, où le progrès des sciences a révélé des inexactitudes, et sa politique, où le libéralisme fait défaut, à louer sa morale à cause de quelques lieux communs qui s’y rencontrent, et à affirmer, sans dire pourquoi, que « la distinction de l’acte et de la puissance constitue en métaphysique un réel progrès ».

En résumé, notre étude des deux manuels platoniciens de Théon de Smyrne et de M. Bénard n’aura pas été inutile si elle a pu mettre le lecteur en garde contre ce que l’on peut appeler la « scolastique platonicienne ». Scolastique pythagoricienne, sous-entendue dans les théories mathématiques de Théon ; scolastique chrétienne, développée, assez confusément, dans le livre de M. Bénard. — Or pourquoi l’École a-t-elle été aristotélicienne, et non platonicienne ? N’est-ce pas que la philosophie de Platon n’est pas une scolastique ; que, prenant pour point de départ le point de départ nécessaire de tous les systèmes : la sensation, elle cherche non pas les conditions d’existence, matérielles ou spirituelles, mais les conditions d’intelligibilité, les éléments idéaux du sensible ? Pourquoi la Nouvelle Académie a-t-elle pu, sous le couvert du nom de Platon, faire profession de scepticisme ? Ce n’est pas assurément que le platonisme ait été un scepticisme. Mais la philosophie de Platon, qui procède par interrogations et par mythes, est une méthode de réflexion critique. La νόησις est une ana-