Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/385

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science unique et universelle ; une pluralité de méthodes partielles s’établit, et la puissance unificatrice de l’esprit fut révoquée en doute. Aussi les savants mirent-ils le même soin scrupuleux à s’abstenir eux-mêmes de toute méditation philosophique, qu’à défendre le domaine de la science contre toute ingérence des philosophes. On se trouva donc en présence d’une simple alternative : positivisme ou mysticisme. Puisque la science ne prétend plus être, à aucun degré, une systématisation absolue et définitive des choses, elle est conçue comme constituée par un ensemble de procédés que l’expérience nous enseigne. La foi positiviste est libre d’affirmer que ces procédés réussissent toujours, que nous y sommes habitués de trop longue date pour être jamais trompés, mais la foi religieuse est également libre de regarder la science comme une construction artilicielle, et ses résultats comme des formules commodes imposées au mystère des choses par le caprice humain.

Dans l’un et l’autre cas, l’esprit qui crée la science est banni de la science ; il perd par conséquent la conscience de lui-même ; pour qu’il reprenne possession de soi, il faut qu’il puisse considérer son œuvre comme n’étant ni aveugle ni arbitraire, il faut que l’ordre universel lui apparaisse comme n’étant ni une coïncidence, ni une fiction ; car la raison n’admet pas le hasard et n’admet pas le miracle. Placer l’intelligence en face de la nature, et montrer comment elle organise les phénomènes par le simple développement de ses lois constitutives ; bref, apprendre à la raison à se retrouver elle-même dans la science qu’elle a faite, voilà le problème de la logique. La logique ne refait pas la science, elle la suppose faite ; son point de départ est la solution pratique, parce que toute solution pratique provoque chez l’homme une réflexion théorique. En vertu de cette loi nécessaire, il y a nécessairement dans le système de nos connaissances une place pour la logique ; la laisser vide, c’est atrophier une fonction essentielle et mutiler tout l’organisme. La culture logique, qui assure le développement méthodique et intégral de l’esprit, est la condition de son équilibre. Elle a fait défaut au xviiie siècle : de là l’esprit exclusif et étroit qui a engendré des révolutions à la fois radicales et impuissantes. Elle a fait défaut à notre temps ; de là l’universelle anarchie.

Dans le domaine pratique, la situation était la même. Ici encore, l’Université s’est refusée à constituer, à l’aide d’une méthode rationnelle, une doctrine morale. Le libre examen fut considéré, se con-