Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/396

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Qu’en une durée indivisible, un élément déterminé de la troisième ligne, a″ par exemple, passe sous un élément unique de la première, rien de plus évident, c’est l’hypothèse même. Ajoutons, pour n’en pas sortir, qu’il s’y trouve au moment où il y passe. D’un élément, en effet, à l’élément contigu, l’intervalle manque. Si donc on veut ici séparer le progrès du but, si l’on imagine un mouvement avant l’arrivée, on oublie l’hypothèse, et l’on revient, sans le savoir, sur la concession que l’on a faite.

Faut-il admettre, à présent, que a″ passe, comme on le prétend, sous b′ et sous c′ ? Occupons-nous d’abord de b′. Pour passer sous b′, il faut qu’il se trouve, à un moment donné, vis-à-vis de lui. Mais où rencontrer ce moment ? En un instant unique b′ est venu occuper, de droite à gauche, un lieu contigu au sien, tandis que, de son côté, a″ est venu occuper de gauche à droite un lieu situé au-dessous de celui qu’occupait b′ :

b′
a″

Si, en cet instant même, ils sont déjà arrivés, comment auraient-ils trouvé le temps de passer l’un devant l’autre ?

On insistera. Visiblement a″ et b′ se croisent. — On se croise dans le continu de l’espace ; ici c’est l’impossible. Où voulez-vous qu’ait lieu ce prétendu croisement ? a″ avance d’un rang ; je le vois alors et tout de suite au-dessous du lieu occupé à l’origine par b′, mais ce lieu est vide, b′ est parti. À son tour, b′ avance d’un rang en sens inverse. Le voilà d’un coup au-dessus du point de départ de a″, mais a″ a marché, il n’est plus là.

Quand on parle de croisement, on raisonne comme s’il existait entre b′ et a″ une verticale sur laquelle pussent passer en même temps les deux mobiles :

b′ le
le a″

C’est le contraire de l’hypothèse ; mais la figure elle-même trompe l’œil ; l’imagination voit un intervalle là où il est justement impossible ; elle est dupe, l’hypothèse est oubliée.

En définitive a″ ne remontre que c′, et les deux moments qu’on oppose aux partisans des indivisibles sont imaginaires.

Si, malgré sa réelle solidité, cette dialectique paraît subtile, qu’on veuille bien essayer avec nous de se représenter aussi exactement que possible toutes les conditions du problème. L’argument parle d’instants successifs. Scandons les moments pendant lesquels le mouvement va se produire. Voici un temps. Je le bats comme je battrais celui d’une mesure musicale. C’est un élément de durée. Instantanément a″ se place au-dessous du lieu qu’occupait b′. Instantanément aussi, b′ s’établit au-dessous du point de départ de a″; instantanément enfin, et sans division quelconque dans cet indivisible de la durée, c′ est venu occuper le lieu que b′ a laissé vide. Y at-il là deux ou plusieurs instants ? Non. Les trois mouvements sont simultanés, l’instant est le même ; b′ n’a pas attendu pour partir que a″ se fût déjà déplacé, et c’est seulement c′ que a″ a rencontré devant lui.

Ce qui a lieu de surprendre et ce qui a sans doute surpris le lecteur dans la discussion qui précède, c’est l’invincible persistance avec laquelle l’esprit