Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/46

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sentir au moment où je sens, me vient-elle du fait empirique comme fait ? Non ; car encore faut-il pouvoir affirmer comme vrai cet état de conscience. Il est vrai que je le sens ; en d’autres termes la faculté de discerner le vrai du faux est présupposée par le fait empirique lui-même. Avant de dire : je suis dans tel ou tel état, encore faut-il pouvoir distinguer oui et non. Ainsi je pose antérieurement à ma conscience empirique ma faculté de discerner le vrai du faux, ma raison.

Mais cette faculté de discerner le vrai du faux me révèle-t-elle quelque être hors de ma conscience qui serait le vrai, ou quelque être extérieur à ma pensée, garant de cette pensée ? S’il en était ainsi, cette affirmation que je viens de découvrir première ne le serait pas ; elle aurait un objet ; et celui-ci en appellerait un autre, et ainsi de suite. L’idée du vrai et du faux ne peut être distincte de moi ; je suis cette idée même ; c’est pourquoi on peut l’appeler moi pur, conscience intellectuelle, pour la distinguer du fait empirique, interne ou externe, qui en est l’objet.

Du moment que je pense, je pose donc le moi pur, ma conscience intellectuelle. Et qu’on ne dise pas — objection naïve souvent posée à Descartes — : logiquement sans doute la pensée est antérieure au corps ; mais qui nous dit qu’il en est ainsi physiquement ? Peut-être qu’en soi le corps est cause de la pensée. — Car en disant cela, vous le niez, puisque, pour affirmer la priorité du cerveau sur la pensée, il vous faut admettre que votre affirmation est vraie ou fausse, et que dès lors vous posez votre conscience intellectuelle, antérieurement à cette existence physique par laquelle vous la déclarez conditionnée. Étrange contradiction que celle d’élever à l’absolu, de déifier en quelque sorte le cerveau antérieurement auquel vous posez toujours nécessairement la conscience même qui le pense.

Et précisément, l’impossibilité où nous sommes de nier cette priorité idéale nous révèle, comme l’avait si bien vu Descartes, le type même de la certitude, principe de toute autre, la certitude idéale, dialectique, fondée sur le raisonnement abstrait, qui, sans être mathématique, imite la mathématique.

Mais si j’approfondis cette conscience intellectuelle, je trouve que je ne l’ai pas encore atteinte elle-même, comme absolument première. Je ne puis douter que je sens au moment où je sens ; c’est--