Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme indépendant des représentations actuelles, et demeurant quand elles passent ou cessent.

L’être qui verrait sans faire effort contre une résistance invincible, n’en verrait pas moins les couleurs hors de lui, dans un espace ou une étendue qu’il ne fait pas et qui subsiste indépendamment de sa représentation, essentiellement différente de ses sensations ou modifications propres auxquels il n’attribue aucune réalité permanente hors du moi actuel qui les sent.

Lorsque l’effort se déploie par le toucher actif contre cette étendue visuelle, le moi reconnaît qu’il ne peut la pénétrer ou passer au travers et que sa locomotion est arrêtée, quoiqu’il ait la volonté de la continuer. Il attribue à l’étendue colorée ou tactile cette propriété nouvelle de l’empêcher de passer ou d’être la cause que son mouvement est arrêté toutes les fois qu’il la rencontre ou que son corps la touche[1]. Cette cause est passive puisqu’elle ne vient pas le chercher. Elle est donc essentiellement différente de lui-même et opposée à la cause qui produit ces mouvements, laquelle ne s’aperçoit qu’en tant qu’elle agit. Elle est donc conçue comme séparable de ce qui constitue le sujet ; de plus, cette cause antagoniste du moi est indépendante des représentations étendues ou tactiles : car, quoiqu’elle soit d’abord connue avec elles et par leur moyen seulement — (puisqu’il n’y a pas d’impénétrabilité reconnue sans locomotion, ni de locomotion perçue sans une étendue représentée au dehors et dans laquelle l’individu puisse apercevoir qu’il se meut relativement à certains points fixes), — néanmoins la cause passive qui arrête notre locomotion n’a aucun rapport essentiel avec ce qui est représenté comme étendu. L’étendue se représente par le fait à la vue et au toucher sans impénétrabilité ; mais il est douteux que l’impénétrabilité puisse être connue autrement que comme abstraction pure' sans l’étendue.

Et en admettant que la force de résistance passive puisse être désubjectivée du moi, on peut douter qu’elle le soit jamais de toute représentation visuelle ou tactile, ce qui suffirait pour contrarier le caractère nouménal primitif que M. Ampère lui attribue exclusivement.

  1. Note à la marge : « L’impénétrabilité ne peut être conçue sans le concours nécessaire du sens de l’effort avec la vue ou le tact, ou les deux sens à la fois. Comment peut-elle donc être désubjectivée plutôt que toute autre connaissance immédiate ou fondée sur l’exercice d’un seul sens, tel que la vue ou le tact ? »