Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/612

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On ne peut mieux dire. Mais d’abord, comme dans tout état de conscience, en vertu de l’universalité du processus appétitif, il y a plaisir et douleur, il se trouve dans tout état de conscience « un fond subjectif impossible à éliminer », « quelque chose de subjectif qui se détruit en s’objectivant », quelque chose par conséquent dont il ne peut y avoir science proprement dite. Mais pouvons-nous en rester là ? Nous ne le croyons pas. Qu’est-ce que ce fond, ce quelque chose ? L’état de conscience est-il donc, comme tel, composé de deux éléments hétérogènes et séparables, l’objectif et le subjectif, l’un dont il peut, l’autre dont il ne peut y avoir science ? Dire qu’il y a un fond subjectif impossible à éliminer, n’est-ce pas une métaphore dont tout le sens est de le considérer comme la réalité substantielle, l’objectif n’étant qu’une réalité phénoménale ? Par conséquent n’est-ce pas dire que l’état de conscience en tant qu’objectivé n’est qu’une apparence illusoire du véritable état de conscience ?

La réaction de la conscience sur la douleur et sur le plaisir ne peut non plus, soutient avec raison M. Fouillée, se représenter comme objet. « C’est même pour cette raison, dit-il, que tant de psychologues nient la réalité du vouloir et du désir. Mais de ce qu’on ne peut se représenter une réalité interne comme objet, il n’en résulte pas qu’elle n’existe point, car cette réalité peut n’être pas différente de nous-même ; étant identique à nous, elle n’est plus représentahle comme objet extérieur à nous[1]. » Nous soulignons cette dernière phrase, car elle a une portée considérable. En effet, ce n’est pas seulement dans la volition ou le désir, mais dans tout état de conscience comme tel qu’il y a identité du sujet et de l’objet. Si l’état de conscience est posé comme objet interne (et il le faut pour qu’il y en ait science), ou bien il est objet pour quelque chose d’autre que lui-même, et dans ce cas il n’est plus connu ce qu’il était, à moins que cet autre ne soit identique à lui, mais alors l’hypothèse se contredit — ou bien l’état de conscience subit une sorte de dédoublement grâce auquel le sujet et l’objet se sont discernés et séparés, et alors devenu simplement sujet, « forme vide » de conscience, il s’est réellement détruit.

Nous croyons donc que M. Fouillée n’a pas tiré ici de ses idées toutes les conséquences qu’elles comportent. Elles permettent de conclure que de l’état de conscience comme tel il ne peut y avoir science proprement dite : cette affirmation — d’ailleurs évidente a priori et de caractère purement analytique[2] — est latente dans les belles pages de l’Introduction (p. xxix à xxxiii) où, réfutant les psychologues « que fascine l’objectif », il défend, après l’activité, l’existence même de la conscience. Rappelons-nous que, établissant avec la plus grande clarté la distinction capitale entre la conscience réfléchie et la conscience spontanée, il définit celle-ci : « Elle est, dit-il, l’immédiation des fonctions intérieures et subjectives, elle n’est pas l’observation, elle n’est pas la réflexion, elle n’est pas la pensée, elle n’est pas la connaissance : elle est la fonction psychique considérée dans son

  1. I, p. xxviii. Voir aussi t. i. p. 132, 133.
  2. Nous renverrons sur ce sujet à un article publié par cette Revue (mai 1893).