Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/615

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pensant. — mais entre les termes de cette double série de rapports il n’y a plus ni accord ni identité ; ils forment deux séries parallèles qui ne peuvent coïncider nulle part, de sorte qu’il est permis de dire, par une comparaison symbolique, qu’un terme de l’une est à un terme de l’autre à peu près dans le même rapport qu’un terme d’une progression arithmétique est au terme correspondant d’une progression géométrique de même raison. La vérité n’a ainsi de sens qu’en ce qui concerne les formes et les rapports des êtres : il n’y a de vrai qu’une sorte d’algèbre du monde[1]. Les termes concrets qui soutiennent ces rapports et qui leur donnent un sens sont l’éternelle création de notre esprit collaborant avec l’univers, car tout en nous est action interne et externe[2]. Encore la vérité formelle, basée sur l’identité d’essence entre nous et le monde, n’est-elle, cette hypothèse une fois faite, révélée que par l’introspection et nous avons vu plus haut quel est le caractère et la valeur de celle-ci. Par la théorie des idées-forces l’on est donc conduit à la même conclusion concernant la « vérité » de la connaissance que lorsque l’on se base, comme nous l’avons fait[3], sur la donnée immédiate de la conscience dans la réflexion : identité de conclusion due à ce que, de part et d’autre, on reconnaît, quoique avec un caractère différent, un élément d’action créatrice comme essentiel à toute conscience réfléchie en tant que telle.

Du point de vue où nous sommes arrivés, toute œuvre d’art, de science, de philosophie, apparaît avant tout comme une réalité : c’est l’expression d’un esprit, sa collaboration à l’universelle action : Savoir, aime à dire M. Fouillée, c’est faire. Il est impossible de la juger par rapport à une réalité dont elle serait le miroir, et de baser son jugement sur son caractère de miroir plus ou moins fidèle : on ne pourrait la juger que comme toute action, d’après les principes d’une éthique encore à construire. Sa valeur est d’avoir un rôle dans l’évolution. L’idée — c’est encore une pensée chère à M. Fouillée — est facteur de l’évolution interne et externe : combien plus peut-on le dire de ces groupes d’idées qu’on appelle un système scientifique ou philosophique ! Nous ne savons quel effet profond ou superficiel une œuvre produira ; nous savons qu’elle en produira un, puisqu’elle est une action : c’est là toute sa valeur, mais une valeur qu’il faudrait être un esprit infini et purement conscient pour mesurer. Alors, est-on tenté de demander, pourquoi réfléchir, chercher la vérité, édifier un système scientifique ou philosophique ? Nous avons essayé de montrer ailleurs que cette recherche se confond avec celle de notre bien-être intellectuel. Et nous pouvons ajouter : elle est aussi notre rôle dans l’évolution universelle, car puisque notre effort et notre réflexion aboutissent non à une vision du réel, mais à une action créatrice, n’est-ce pas qu’ils ne sont faits que pour elle, qu’elle est notre fonction, autant vaut dire notre devoir ?

  1. Cf. ce que dit M. Fouillée du « symbolisme » de la connaissance, t. I, p. 359.
  2. « On ne peut en dernière analyse, dit M. Fouillée, concevoir le sujet pensant et voulant que comme une action » (I, 133). Voir aussi II, 138.
  3. Voir l’article cité plus haut.