Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/63

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Mais je n’ai aucune idée non plus de la puissance d’un être d’où dériveraient toutes choses, puisque la nature même de la première vérité qui n’est pas un être donné ou une chose rend un tel concept contradictoire. Je m’affirme comme libre, mais d’une liberté de choix s’exerçant sur des êtres qui me sont donnés ; et je n’ai pas idée d’une autre liberté ; d’une liberté qui serait créatrice et naturelle.

Il est vrai que la philosophie allemande a prétendu unir le concept de nature et celui de liberté morale dans celui d’un absolu, s’opposant en quelque façon la nature pour en triompher par un acte de volonté et de sacrifice, qui le révèle à lui-même. Et cet absolu serait non pas transcendant, mais immanent et incarné. Ainsi, semble-t-il, nous ne dépasserions pas la vérité pour la transformer en une autre réalité, et cependant nous rattacherions l’ordre de la nature à l’ordre de la moralité. Mais c’est là précisément ce qui, quoi qu’on fasse, ruine la conception morale. Affirmer une unité de nature antérieure à la liberté morale, ou une liberté naturellement efficace, c’est détruire en la rendant naturelle une liberté que nous saisissons seulement sous la forme de l’alternative morale. Sans doute nous déclarons vraie, absolument vraie, cette certitude de la liberté, et en ce sens, semble-t-il, nous la rendons naturelle ; nous la posons comme existante hors de nous, avant que nous en prenions conscience. Mais cette objectivité, nous n’essayons pas d’en déterminer la nature comme d’une réalité distincte ; elle est la forme éternellement accolée à toutes les vérités que nous affirmons ; et nous ne risquons pas de nous contredire, si nous n’en disons rien de plus. Ce qui ruine la moralité, ce n’est pas l’affirmation de l’accord de la nature avec la certitude morale, c’est toute forme positive ou plutôt objective donnée à la conception de cet accord. Car dès que vous essayez une telle détermination, vous transformez en une chose, ou en un être donné, ou, ce qui revient au même, se donnant sans cesse à lui-même par une efficacité naturelle, l’alternative morale que se ule vous connaissez, et vous retombez dans un système de la nature. Ou plutôt encore vous unissez dans une synthèse inintelligible des notions contradictoires comme celles de volonté et de nature. Il est bien différent de dire : il est vrai qu’en cherchant les conditions de la certitude, je me pose comme conscience morale, et que les choses m’apparaissent en harmonie avec cette conscience ; et de dire : il existe une liberté infinie se développant dans et par les choses et se révélant à elle-même par le sacrifice. Alors même qu’on incarne ainsi l’absolu, on le