Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/64

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définit, au lieu d’affirmer seulement comme vrai le système de nos connaissances ; et l’on se condamne à répondre aux questions spéciales posées sur cet absolu. Kant a donc raison d’affirmer en ce sens que toute conception objective universelle contredit la conception morale, et que notre foi morale n’est compatible qu’avec l’ignorance de la dérivation naturelle des choses. De même que, selon Platon, l’absolue nécessité ou l’absolue unité, qui semblerait cependant l’achèvement de la nécessité mécanique et logique, ne se peut même exprimer, et ainsi que la nécessité se détruit en voulant se justifier foncièrement, de même la liberté morale s’anéantit, si elle prétend déterminer la nature de cette universelle harmonie qui cependant la fait vérité. L’idée de Dieu n’est donc pas une idée positive, mais négative, défensive en quelque sorte, en ce sens qu’elle exclut toute interprétation de la nature qui ne se ferait pas par l’idée de liberté : ce n’est pas l’idée d’un autre Être, mais ce coefficient d’éternité qui élève un système à l’absolu.

À vrai dire, la conception anthropomorphique de Dieu, du moment que l’on tient à préciser ce concept, comme celui d’une chose ou d’un être existant, est encore la plus logique. La question de l’existence de Dieu devient dès lors une question de physique, non de métaphysique. Un problème relatif à l’existence ne peut être résolu que par l’expérience. Pour démontrer l’existence de Dieu, ou l’immortalité de l’âme — question connexe — au sens courant du mot, la méthode expérimentale, comme le veulent les spirites, serait la vraie méthode. Mais il ne faut pas oublier que, quand on aurait établi l’existence d’un être supérieur ou d’une vie future, toujours il demeurerait au-dessus cette vérité idéale qu’il est contradictoire d’enfermer dans une conception positive. À propos de cet être supérieur se poseraient toutes les questions qui se posent à propos de l’homme ; et la preuve de son existence nous apporterait peut-être plus de joie, mais pas une clarté de plus. En tant qu’existence, il ne serait pas absolu, mais rentrerait dans la série des faits. Ce qui est premier ne peut être réalité, mais action. La réalité ne peut être jugée que par la vérité. Croire que l’on justifie la certitude première en lui donnant comme garant un être distinct est une croyance un peu naïve (car rien ne saurait être vrai comme ce qui est inséparable du fait même de l’affirmation), une croyance sans doute aussi anthropomorphique, à laquelle donne lieu la trompeuse analogie du témoignage humain.