Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/68

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ou cette harmonie n’est qu’extérieure, et il n’y a pas, à proprement parler, de système organique des choses, ou il faut bien en revenir à une sorte d’union des consciences répondant à l’unité des mouvements. Admettre que les âmes communiquent seulement par les mouvements extérieurs, c’est faire de ces mouvements les vraies réalités. Il semble donc qu’il y ait un mode d’unité intérieure distinct et de l’unité intérieure individuelle et du partes extra partes qui caractérise l’étendue. Et ainsi le Dieu intérieur et la conscience seraient un exemple de ce mode d’union.

Il y aurait sans doute un autre moyen de représenter la première vérité en tant que nous n’en avons pas la conscience actuelle, c’est, comme nous disions, de projeter le moi moral dans l’inconscient sous forme de moi naturellement efficace. Mais les mots : liberté du moi, n’ont pas de sens pour nous hors du devoir. Nous ne connaissons pas notre liberté comme naturelle, comme productrice des existences ; et transformer notre liberté morale en liberté naturelle serait en faire une chose, un être de nature ; de quelque façon, au reste, qu’on le conçoive : comme un être immobile et tout entier donné, ou en train de devenir. Il est vrai que nous ne comprenons pas davantage le Dieu créateur, mais aussi ne devons-nous le concevoir que par rapport à la moralité, comme un Dieu moral, ou principe de la moralité. Et puisque nous sommes comme nécessairement entraînés à préciser et objectiver le système de la vérité, et puisque, en somme, notre représentation n’altère pas mais seulement diminue la vérité, au moins cette représentation est-elle infiniment supérieure à celle du moi naturellement efficace. Car elle ne contredit pas du moins le sentiment que nous avons de notre impuissance, sentiment inséparable de la conscience de la liberté morale. Et elle peut se concilier avec notre liberté ; car cette toute-puissance morale peut être entendue comme fournissant à la liberté morale l’occasion de s’exercer[1]. Les relations de personne à personne que nous suggère une telle conception semblent laisser place en même temps qu’à la liberté aux inspirations, à la grâce venue de cette toute-puissance.

De même la hiérarchie des existences que nous avons établie pourra être représentée dès lors comme la dégradation, si l’on veut, d’une pensée infinie, ou peut-être plutôt, pour conserver la représentation plus anthropomorphique et cependant moins éloignée, en un sens, de

  1. Voir sur ce point la notion de Dieu, chez M. Renouvier. Voir aussi J. Pérès : Du libre arbitre (Alcan).