Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/69

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la vérité, dont nous nous servions plus haut, comme une hiérarchie de consciences subordonnées les unes aux autres et à une conscience infinie vers laquelle elles gravitent, et qui les attire. De même que la vérité est indépendante de la conscience empirique, nous ne pouvons déduire la nature de la pensée, et nous supposer ce genre d’efficacité serait supprimer la certitude première qui est morale. De plus, ce coefficient d’éternité qu’emporte la vérité accompagne en quelque sorte toutes les formes d’existence, et s’applique à elles dans l’ordre où nous les affirmons, de façon que l’on peut dire que Dieu participe à toutes ces formes, d’abord possible avec la conscience logique, vie avec la vie, liberté avec la liberté, n’étant que l’au-delà de chacune de ses puissances. Cette hiérarchie de points de vue étant une vérité comme la certitude morale, faisant un avec elle, et l’une dépendant de l’autre, je dois objectiver et animer en même temps l’une et l’autre. Et c’est pourquoi toute la réalité nous apparaît dès lors comme l’expression d’une conscience supérieure, principe de la moralité.

Ainsi reprennent un sens les conceptions que nous avions d’abord absolument rejetées[1]. Mais encore une fois, en représentant sous la forme d’une nature morale universelle le fait moral, nous exprimons seulement que cela est vrai ; et nous n’avons pour cela aucune conception positive d’un Dieu et d’un ordre universel qui s’y rattache comme une conséquence à son principe, ou des organes à la vie qui les lie, ou une conscience inférieure soumise à l’ascendant d’une conscience supérieure. Une métaphysique est possible, mais non pas une théologie. Et cependant comme toutes ces conceptions présupposent le système de la vérité idéale, elles peuvent toutes servir à l’exprimer ; elles ne deviennent inexactes et contradictoires à la certitude que l’on prétend justifier par elles que si de symboliques qu’elles sont, nous les transformons en conceptions positives.

La place d’une telle doctrine étant ainsi fixée entre le kantisme et l’ancienne théologie, nous pouvons en déduire maintenant les conséquences pratiques, et comprendre comment nous dépassons, en reliant la nature et la liberté, non seulement le criticisme, mais la morale, le formalisme moral de Kant. Car en reliant la moralité à la nature nous la justifions non pas seulement sous la forme du consentement actif, mais du sentiment proprement dit, des joies expansives, sociales et humaines, manifestations en nous de la nature s’efforçant vers la liberté.

  1. Il est inutile de faire remarquer la haute signification que nous attachons dès lors aux spéculations de M. Ravaisson ou de M. Secrétan.