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tance et l’intérêt. Mais ce qu’une sèche et rapide analyse ne peut faire pressentir, c’est la richesse des informations, la vigueur de la discussion, et la logique sévère qui ordonne tant de systèmes et les relie en une composition lumineuse et serrée. On nous excusera de ne pas examiner ce travail solide et nourri ; car si le principal mérite de l’Année philosophique est encore à nos yeux la pensée systématique qui y règne, on comprendra que nous nous attachions surtout à la partie purement dogmatique du livre, où la doctrine néocriticiste s’affirme dans une de ses thèses essentielles.


I

L’article de M. Renouvier, dont le titre un peu énigmatique : la Philosophie de la règle et du compas, ne révèle pas immédiatement le contenu, comprend deux parties : dans la première (p. 1 à 37) est exposée la théorie criticiste des postulats de la géométrie ; la seconde (p. 37 à 66) est une critique des géométries non euclidiennes. Ces deux questions en apparence distinctes ont entre elles un rapport très étroit, car c’est sur la négation de tel ou tel postulat de la géométrie ordinaire que l’on a construit déductivement les géométries non euclidiennes, de sorte que de la manière dont on comprend les postulats dépend la valeur qu’on attribue à ces géométries. Tel est le sujet de cette étude, dont le sous-titre fait mieux saisir l’unité : Théorie logique du jugement dans ses applications aux idées géométriques et à la méthode des géomètres.

I. — La théorie des postulats repose sur la distinction des jugements analytiques et des jugements synthétiques ; les uns et les autres figurent parmi les principes de la géométrie. Il y a d’abord des jugements analytiques qui ne font que traduire des faits d’intuition. Le premier de ces faits, qui enveloppe tous les autres, est l’espace avec ses trois dimensions indéfinies. Cette intuition primordiale contient les déterminations de droite et de gauche, de dedans et de dehors, qui, indéfinissables en elles-mêmes, servent à définir les parties de l’étendue et le sens des mouvements. Elle implique en outre la possibilité de toutes sortes de figures, de constructions et de mouvements. Les jugements par lesquels nous affirmons ces possibilités ne sauraient être démontrés ; ils sont évidents par intuition, car ils analysent simplement notre idée de l’espace, et en décrivent les caractères irréductibles. Le principal de ces jugements analytiques est la loi de conservation de la figure, que M. Renouvier semble confondre avec le postulat de l’homogénéité de l’espace[1], et qui s’énonce : « Toute figure peut se déplacer dans l’espace sans déformation ». Ce jugement constate ou affirme l’identité de nos idées géométriques partout où nous les situons ; il fonde pour ainsi

  1. Nous appellerons uniformes ou identiques, avec M. Calinon, les espaces qui admettent le mouvement des figures invariables, et nous réservons, avec M. Delbœuf, l’épithète d’homogène à l’espace qui vérifie le principe d’homogénéité (voy. infra, § XIII).