Page:Revue de métaphysique et de morale - 26.djvu/396

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Si le déterminisme était faux, « aucune induction ne serait possible, car nous risquerions toujours de nous trouver en présence d’un fait sans loi » (p. 314), Cela n’est pas concluant, parce que l’induction comporte toujours un risque. Je lis bien, dans M. Lachelier, ceci : « En fait, l’induction est toujours sujette à erreur : en droit, elle est absolument infaillible : car s’il n’était pas certain que les conditions qui déterminent aujourd’hui la production d’un phénomène la déterminent encore demain, les prévisions fondées sur une connaissance imparfaite de ces conditions ne seraient pas même probables. » (Fondement de l’Introduction, début.) Mais pourquoi ? Et puis, le domaine de l’induction déborde celui de la causalité, et s’étend dans le domaine de la raison suffisante. Nous recherchons inductivement, non seulement les lois des événements, mais les lois de ces lois elles-mêmes, et pourtant nous savons bien qu’il y a des lois irréductibles, bien que nous ignorions lesquelles. L’induction indiquera peut-être que les lois mécaniques se réduisent probablement à des lois électriques. Pourtant, il est possible que ces lois soient entièrement irréductibles. Peut-être croit-on qu’il n’y a pas de principe de probabilité qui ne suppose un principe objectif. Mais il me semble qu’à la réflexion la plausibilité de cette opinion s’évanouit.

Sans doute, les savants sont en général déterministes. Cela les encourage ; un doute peut-être « les empêcherait de travailler ». Ne peut-on chercher sans être sûr qu’il y a quelque chose à trouver ? Il existe une curiosité qui en est capable. Et le principe de l’induction n’est pas nécessairement la croyance philosophique adoptée par le plus grand nombre de chercheurs résolus.

Signalons le remarquable chapitre sur « l’esprit scientifique et le rationalisme » par lequel l’ouvrage se termine. Dans des pages éloquentes, l’auteur y examine la valeur philosophique de la pensée logique, c’est-à-dire, selon sa définition, la croyance purement intellectuelle. L’effort logique a libéré l’intelligence et fondé la sincérité la plus haute. Il ne doit pas être démenti au nom des besoins d’une vie supérieure.

Jean Nicod.