Page:Revue de métaphysique et de morale - 9.djvu/124

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d’abord un, et ensuite encore un. Deux augmenté d’un, c’est trois. Deux augmenté d’un et encore augmenté d’un, c’est trois augmenté d’un, et trois augmenté d’un c’est quatre. Quand je me fais à moi-même cette démonstration, je veux oublier tout ce que j’ai entendu dire ; je veux me défier même de ceux que j’estime le plus ; le consentement de tous les hommes n’a pour moi aucune valeur ; je veux comprendre et comprendre par moi-même ; je veux, selon la première règle de Descartes, ne recevoir pour vrai que ce qui paraît évidemment être tel.

En cette règle est enfermé le principal devoir du citoyen dans une République. Pour être sage, pour être raisonnable, pour être vraiment libre, que faut-il ? Ne rien recevoir pour vrai que ce que l’on reconnaît évidemment être tel, et, tant qu’on ne voit pas une chose quelconque aussi clairement que l’on voit ce que c’est que un plus un, deux plus un, trois plus un, oser se dire à soi-même, oser dire aux autres : « je ne comprends pas, je ne sais pas ». Socrate disait que toute la puissance de son esprit venait de ce qu’il savait, quand il ne savait pas, qu’il ne savait pas.

Et si je m’en tiens à mon exemple, et si je dis qu’être raisonnable c’est admettre ce qui apparaît comme entièrement clair et parfaitement évident, si je dis qu’être raisonnable c’est refuser d’admettre ce qui n’apparaît pas comme entièrement clair et parfaitement évident, alors j’aperçois en tout être la Raison tout entière, et je comprends l’Égalité, principe des Républiques. Car si tout ce qui est obscur pour quelqu’un doit être tenu par lui comme douteux, et si un homme n’use de sa Raison que lorsqu’il affirme ce qui est parfaitement clair pour lui, qui donc pourrait manquer de Raison ? Quel homme pourrait ne pas comprendre comment deux et deux font quatre, s’il conçoit la question ainsi que nous l’avons expliquée tout à l’heure ? Et, remarquez-le, jamais aucune question ne sera plus difficile que celle-là. Chacune des parties de toute question devra être aussi claire que celle-là, et que les parties de celle-là. Autrement la Raison nous conduira, non pas à affirmer, mais à douter. Il n’y a pas ici de degré : si ce n’est pas entièrement clair nous devons douter, et si c’est entièrement clair, où est la difficulté, et comment pourrions-nous manquer de Raison pour nous décider ?

Il n’y a point de degrés dans la Raison ; il n’y a point de parties dans la Raison. User de sa Raison, c’est toujours faire le même acte simple et indivisible, qu’on appelle juger. L’on n’est pas à moitié