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VARIÉTÉS.

et s’avança, tenant à la main le prix destiné au vainqueur, pour le remettre à celui qui l’avait si bien mérité. Il tressaillit cependant en rencontrant l’œil de Tonino, son front pâle, et sa lèvre fortement serrée entre ses dents, indice certain d’une prochaine vengeance ; mais, se fiant au silence de sa victime, qu’il croyait avoir acheté, et au cortége d’hommes d’armes qui l’entourait, il cacha sa crainte sous un air de feinte bienveillance, et tendit le fusil à Tonino. Celui-ci le reçut sans paraître y prendre garde, et sans cet air de triomphe qu’on s’attendait à lui voir, le passa derrière son dos, et l’y assujettit fortement, tout en s’inclinant comme pour répondre aux éloges emphatiques que l’assassin d’Anna Maria se croyait obligé de lui faire. De la main gauche, il resserra le licou de son cheval et jetant un regard vers le ciel, et sur la foule muette qui le contemplait avec une admiration mêlée d’anxiété, impatiente de le voir lancer à pleine course sa farouche monture, il fit tourner trois fois, son redoutable lasso… L’assassin pâlit et voulut reculer ; mais il n’était plus temps. Le plomb fatal s’enlaça en sifflant autour de ses jambes et le renversa. Enfonçant aussitôt la pointe de son stylet dans les flancs de son cheval et l’animant de ce cri sauvage, propre au cavalier corse, Tonino le poussa avec la rapidité de l’éclair sur cette pelouse unie dont le vaste tapis se déroulait devant lui. On voulut l’atteindre, mais le vigoureux coursier, harcelé sans relâche, effrayé surtout du poids inaccoutumé qu’il traînait après lui, redoublait à chaque instant d’impétuosité ; les cris de sa victime, qui de temps en temps soulevait dans un de ses bonds sa tête ensanglantée, l’animaient encore ; il laissait bien loin derrière lui tous ceux qui avaient entrepris de le poursuivre. Parvenue à cette limite trompeuse de la plaine, à ces dangereux marécages, où chaque pas pouvait donner la mort, la foule s’arrêta ; mais Tonino, son cheval et leur victime ne s’arrêtèrent pas. Dans leur course rapide, on les vit s’avancer encore, s’enfoncer dans ce terrain perfide,