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POLYNÉSIE.

en présence d’une partie de l’équipage descendu à terre, pour assister à cette pieuse cérémonie. Un détachement armé salua par trois fois le mausolée, tandis que les canons de la corvette faisaient retentir les montagnes de Vanikoro. Un silence religieux, un recueillement solennel présidèrent au triste et tardif témoignage de regrets que des Français donnaient à la mémoire de leurs malheureux frères. Une circonstance douloureuse contribuait à rendre la cérémonie encore plus imposante. L’Astrolabe, converti en un lugubre hôpital, renfermait déjà plus de trente de nos compagnons affaissés sous le poids de la maladie ; un sort semblable menaçait les autres, et si le vent eût retardé notre départ, cette terre meurtrière devait, selon toute apparence, nous servir de tombeau. Ainsi le cénotaphe qu’on venait d’élever en l’honneur des compagnons de La Pérouse pouvait aussi devenir le dernier témoin des longues épreuves et du désastre de la nouvelle Astrolabe.

Un temps affreux s’était déclaré, des torrens de pluie se succédaient régulièrement chaque jour, et cette humidité perpétuelle jointe à l’atmosphère embrâsée de ces funestes lieux fut sans doute l’origine de la maladie qui nous persécutait, en même temps que l’intempérie du ciel nous forçait à une inaction fatale.

Enfin, après quatre jours des recherches les plus pénibles et les plus fatigantes, M. Gressieu parvint à découvrir, au nord de Vanikoro, une passe susceptible de recevoir la corvette, mais qui était pourtant hérissée de dangers.

Le 17 mars, avec un temps incertain et une brise variable, nous nous hasardâmes enfin par ce passage difficile : entreprise critique et décisive pour le sort de l’expédition. Je vis plusieurs fois l’instant où la corvette entraînée sur les terribles brisans qui bordaient ce canal étroit, allait s’y perdre en quelques minutes, et abandonner le petit nombre de malheureux qui eussent échappé au naufrage, à la férocité des peuples les plus sauvages et les plus dégoutans de la Polynésie.