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prononçai donc les prières qu’on m’avait apprises dans ma jeunesse, et je m’efforçai d’y joindre toute l’onction dont j’étais capable, et que la circonstance devait inspirer. Mais, hélas ! je ne tardai pas à reconnaître que la crainte de la mort m’occupait seule, et que ma bouche balbutiait machinalement des mots auxquels mon cœur ne prenait aucune part. Je ne songeai plus qu’à ma conservation et aux moyens d’y pourvoir. Je me retraçai successivement toutes les scènes de brigands que j’avais lues ou entendu raconter ; mais ne me rappelant rien de semblable à notre tragique aventure, je commençai à m’abandonner au désespoir. Au milieu de mes réflexions, ou plutôt de mon délire, je sentis que la voiture s’arrêtait ; on en tira les rideaux, et une voix rude demanda : — Sont-ils tous morts ?

Si señor, répondit une des deux femmes en pleurant, si señor, son todos muertos, et elle ajouta : « Ayez pitié de nous, épargnez notre vie. » On referma les rideaux, et la même voix ordonna au postillon de se remettre en marche et de hâter le pas.

Nous paraissions traverser une forêt ; tout était silencieux et sombre, et l’on n’entendait d’autre bruit que celui du vent qui soufflait dans le feuillage des pins, et le pas monotone des chevaux. « Hélas ! me disais-je, n’est-il donc plus d’espoir ? faut-il mourir si jeune ! faut-il me voir égorger de sang-froid ! pourquoi n’ai-je pas péri comme le pauvre N…, en me défendant ? » Et je souffrais toujours plus, et mon sang coulait à grands flots à chaque mouve-