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VOYAGES.

para pour aller dîner. Après avoir pris le café, je témoignai à M. V*** le désir de me promener seul, ne voulant pas le déranger de ses occupations. J’eus beaucoup de peine à l’y faire consentir. Il me donna un nègre pour me conduire.

Je partis avec mon cicérone couleur d’ébène, qui me montrait en souriant deux rangées de belles dents blanches. Il s’appelait Apollon, et était très-content de son sort. Je voulus d’abord voir les cases à nègres. En un demi-quart d’heure nous y fûmes : le bruit qu’on y faisait eût suffi pour guider notre marche, car les sons d’une espèce de tambour et de callebasses remplies de pois qu’ils agitent fortement, s’entendaient de fort loin. Je fus témoin du spectacle le plus bizarre que l’on puisse imaginer : cent cinquante à deux cents nègres ou négresses habillés d’une manière grotesque, couverts de chaînes ou d’anneaux de cuivre doré ou d’argent, dansaient avec une coquetterie trop plaisante ; les autres, comme des frénétiques, étaient animés par cette musique bruyante et barbare. Je demandai à Apollon à quelle occasion se donnait cette fête ; il m’apprit que deux fois la semaine, les nègres dansaient la bamboula.

Apollon considérait ce spectacle avec envie, il n’osait me demander la permission de se mêler aux danseurs. Je prévins ses désirs, et en deux bonds il fut au milieu d’eux.

Je m’éloignai de l’habitation ; je me plaisais à être seul. Je jouissais en silence de la fraîcheur de l’air, du murmure des ruisseaux et des dernières