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LITTÉRATURE.

puis citer entre autres le Scythe Abaris, l’Égyptien Hermès et le comte de Saint-Germain. J’ai tant vu et tant appris, que je regarde maintenant la race humaine comme tout-à-fait indigne du moindre intérêt. L’événement d’aujourd’hui me fait pitié, et vos grandes démonstrations de joie, dont je suis malgré moi témoin, me donnent la torture. Vous vous émerveillez de tout ce qui est nouveau, moi je l’abhorre, et votre Jean-Jacques Rousseau avait bien raison de vouloir réduire au néant toutes les connaissances humaines.

L’enfance du monde, si je me le rappelle bien, se nommait le siècle d’or. Alors la nature se servait de lisières pour conduire les hommes, et ils marchaient fort joliment sur quatre pates.

Mille ans plus tard je fus témoin d’une révolution étonnante. Un téméraire fit crier dans tous les carrefours qu’il s’engageait à marcher sur les deux pates de derrière, sans autre préservatif qu’un bourrelet et une lisière d’enfant ; il ajouta même qu’il finirait par les jeter au loin, et s’en irait à toutes jambes.

Je ne te dirai pas combien une annonce semblable causa d’étonnement. Il nous trompe, s’écrièrent tous ceux qui purent élever la voix ! Marcher sur les deux pates de derrière ! Qu’il essaie, et une lourde chute sur le nez sera le prix de sa témérité.

Cependant le jour fut pris ; grande affluence d’indigènes et d’étrangers. Nous étions tous accroupis, et nous attendions avec impatience le hardi novateur : il arrive enfin, et se présente comme un homme sûr de son fait. Son audace est couronnée de succès : on connaît de reste tout le mal qui en est résulté. Les hommes parcoururent le monde sur deux jambes seulement, et atteignirent bientôt le soi-disant siècle d’argent.