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LE FAUX-PONT.

talon dont il se revêtit insolemment ; tout cela, il est vrai, lui était fort court et fort étroit, aussi ne ménageait-il pas les imprécations et les injures contre l’ancien propriétaire. Après tout il n’y regardait pas de si près, et s’en trouva fort bien ; aussi le lendemain matin à son réveil il dit, en se mirant avec complaisance dans la petite glace de la dunette : « Il n’y a rien de tel que la toilette pour refaire un homme. »

Puis il déjeûna de bon appétit d’une dalle de morue sèche, d’un fromage de Hollande, et de trois galons d’eau-de-vie, et après boire fut inspecter les nègres et descendit dans le faux-pont.

Les grands Namaquois avaient été un peu négligés, un peu oubliés depuis la veille, mais que voulez-vous ? il s’était passé tant d’événemens, tant de choses, qu’on ne pouvait penser à tout.

Donc, vers midi, le capitaine Brulart arriva dans le faux-pont, singulièrement espacé aux dépens de la cale ; car, de l’étrave à l’étambot le faux-pont avait, je crois, trente-cinq pieds, et son grand beau à peu près quinze pieds, autrement dit trente-cinq pieds de long sur quinze de large ; la hauteur était de dix. La lumière ne pouvait passer que par le grand panneau grillé et regrillé.

Brulart commença son inspection par tribord.

Oh ! de ce côté ce n’étaient que des enfans, de frêles et pauvres créatures qui, servant d’appoint dans ces marchés de chair humaine, formaient, pour ainsi dire, la monnaie de ce trafic.

Ces enfans jouaient là comme ils eussent joué sur les bords frais et ombragés du fleuve Rouge.

Mon Dieu, pour eux, rien n’était changé ; seulement, au lieu du ciel pur qui leur souriait la veille, c’était le lourd plafond du brick ; au lieu du soleil éblouissant qui les inondait de chaleur et de lumière, c’était le panneau carré du faux-pont qui suintait à travers ses barreaux un jour faux et un air épais. Seulement ils se demandaient, en montrant le plafond et le panneau, dans leur naïf langage, pourquoi ce ciel était si noir et si près, et ce soleil si pâle et si froid… ;