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LE FAUX-PONT.

C’est qu’il revoyait sa position actuelle dans son vrai jour, et que, comme les autres, il avait grand faim, car depuis deux jours on les avait un peu oubliés.

Brulart passa, et arriva au bout du brick, près l’avant.

C’est là que les femmes étaient parquées.

— Ah, ah ! dit le forban ; voici le sérail, mille tonnerre de diable ! il faut voir clair ici. Cartahut, va me chercher un fanal, dit-il à son mousse. La lumière vint, et Brulart regarda…

Vrai, si je n’avais eu un de mes grands-oncles chanoine de Reims, un bien saint homme ! je vous révèlerais, sur ma parole, un gracieux et érotique tableau.

Figurez-vous une vingtaine de négresses ayant presque toutes l’âge d’un vieux bœuf, non de ces Caffres rabougries d’un brun terne, sales, huilées, graissées, avec une vilaine tête laineuse et crépue ; non !

C’étaient de sveltes et grandes jeunes filles, fortes et charnues, au nez droit et mince, au front haut, et voilé par d’épais cheveux noirs, lisses comme l’aile d’un corbeau… Et quels yeux ! des yeux d’Espagnole, longs et étroits, avec une prunelle veloutée qui luit sur un fond si limpide, si transparent qu’il paraît bleuâtre… Pour la bouche, c’était de l’ébène, de l’ivoire et du corail…

Et si vous les aviez vues là, mordieu, toutes ces Namaquoises, bizarrement éclairées par le fanal de Brulart !…

Si vous aviez vu cette lumière vacillante, courir et jouer sur ces corps, tant souples, tant gracieux, qu’elle semblait dorer…

Les unes, à moitié couvertes d’une pagne aux vives couleurs, laissaient à nu leurs épaules rondes et potelées, les autres croisaient leurs beaux bras sur une gorge ferme et bondissante ; celles-ci…

Ah ! si je n’avais eu un de mes grands-oncles chanoine de Reims, un bien saint homme !

On aime, je le sais, une peau fraîche, élastique et satinée, qui frissonne et devient rude sous une bouche caressante. On