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VOYAGES.

succédaient bientôt ces myriologues funéraires que les Grecs, et particulièrement les Ipsariotes, psalmodient sur le cadavre de leurs amis ; puis venaient les chants lugubres du rituel oriental, entonnés par la voix criarde et glapissante des papas, se mêlant impassiblement au cri de désespoir des familles. Soit que la répétition continuelle de ces scènes de désolation, et l’état de souffrance de ceux qui m’entouraient agissent sur mon système nerveux, soit que les eaux et l’air exerçassent sur ma santé une influence funeste, je tombai bientôt dans un état de mélancolie et de marasme qui me mit dans la nécessité de quitter cette île que j’habitais depuis cinq mois. Je pris passage à bord d’une goëlette de guerre autrichienne la Fenice, capitaine Morati, qui devait mettre à la voile pour Smyrne. Le commandant du Palinure, brick français, se proposait de faire route pour les mêmes parages ; mais comme il devait d’abord aller prendre à Ténédos les ordres de son amiral, je préférai le bâtiment de S. M. Apostolique, bien qu’il fût d’une très-petite dimension.

Nous appareillâmes par un temps superbe ; une brise de N. O. nous portait rapidement vers l’Asie. Bientôt nous prîmes connaissance d’une flotte danoise, composée de deux frégates, de deux corvettes et un schooner, qui se dirigeaient sur le golfe de Naupli ; plus tard nous rencontrâmes un vaisseau et une frégate russe faisant voile pour Poros, car dans ce moment la marche des Russes sur Constantinople avait amené dans ces eaux les forces navales de toutes les puissances maritimes. Tout semblait nous présager une heureuse traversée, mais vers midi la brise halait le nord en fraîchissant, l’horizon était rougeâtre, des nuages blancs, alongés comme des fuseaux, étaient superposés