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LITTÉRATURE.

n’en ai jamais fait une mauvaise avec l’intention de nuire.

— Il faut pardonner, reprit l’interprète, en appuyant son doigt sur la manche de bure du père Servus Dei, il faut pardonner aux malheureux leurs craintes continuelles ; je vous affirme ici, mon cher père, que depuis long-temps je n’ai parlé à aucun homme avec autant de confiance que je le fais avec vous. À présent je vous demande, soit que nous demeurions encore quelque temps ensemble, soit que nous nous séparions, je vous demande de ne plus me parler de moi ; au premier mot que vous m’en diriez, je vous quitterais pour toujours, et ce serait avec la plus grande peine, car je ne désespère pas de vous être utile bientôt. Adieu, je vais dans ma cahute voir si je suis prêt en tout point à lutter contre l’orage, et préparer l’équipage d’un voyageur aussi perpétuellement en marche que le Juif errant. À demain matin, c’est-à-dire dans une heure ou deux tout au plus, car la nuit va finir.

En disant ces dernières paroles, il serra la main du missionnaire, et le quitta. Il traversa à grands pas l’enceinte du palais ruiné, et à quelque distance en dehors du second pylône, gravissant un petit monticule sablonneux qui s’étend en avant de la chaîne libyque, il entra seul dans une des cahutes de terre, du village de Medinet-Abou, entièrement abandonné depuis plus d’une année.


Alfred de Vigny.


(La suite à la prochaine livraison.)