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LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE.

à travers ton collier d’or, tu as laissé échapper ton âme de perle de ton corps vigoureux. » Dans la description des désastres de la guerre civile, il est dit : « Les rives du Niémen sont couvertes de têtes aussi nombreuses que les gerbes au temps de la moisson, et, tels que de lourds fléaux, les glaives séparent les âmes des guerriers de leurs enveloppes mortelles. Ô temps de calamité ! pourquoi n’a-t-il pas été possible de fixer le grand Vladimir sur les montagnes de Kief ? » — Cependant l’épouse d’Igor déplore dans Poutivle le sort funeste de son époux ; du haut des remparts, elle jette les yeux sur la plaine, et s’écrie : « Ô vents cruels ! pourquoi avoir prêté vos ailes légères aux flèches lancées par le khan sur les légions de mon ami ? N’était-ce pas assez pour vous d’agiter les flots de la mer et de balancer les vaisseaux russes sur ses vagues furieuses ? Ô majestueux Dnieper ! tu as miné d’affreux rochers pour te précipiter dans le pays des Polovtsi ; tu as porté sur tes flots les barques de Sviatoslas jusqu’au khan de Kobiak : ramène-moi aussi le bien-aimé de mon cœur, et tous les matins je ne chargerai plus la mer de te porter le tribut de mes pleurs !… Astre brillant du jour ! tu répands sur tous les mortels ta douce chaleur et ton majestueux éclat, et pourtant tes rayons ardens ont consumé dans un aride désert les légions de mon bien-aimé ! » Mais déjà Igor est libre ; il a trompé ses gardes, et, monté sur un coursier rapide, il s’élance vers les frontières de sa patrie ; il tue des cygnes et des oies pour pourvoir à sa nourriture ; son cheval est épuisé de fatigue : alors le héros s’embarque, et les eaux du Donetz le portent en Russie. L’auteur anime ce fleuve ; il lui fait adresser au prince les paroles suivantes : « Ô grand Igor ! quelle doit être la rage du khan Kontchak, et la joie de tes chers compatriotes ! » Le prince répond : « Ô Donetz ! que tu dois être glorieux de porter Igor sur tes ondes, et de lui préparer un lit de gazon sur tes bords argentés! Tu m’enveloppes de tes douces vapeurs quand je me repose à l’ombre des arbres qui bordent tes rives : les canards qui nagent dans tes eaux,