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SCÈNES DU DÉSERT.

au cheik Yâqoub : « Salam alicum[1]. Allons-nous commencer ? »

Le cheik ôta sa pipe et dit : « Nous allons commencer. » Alors il déroula un petit rouleau d’écorce de palmier préparée pour écrire, il prit aussi une sorte de pinceau noir, traça, au bas, un petit barbouillage carré de droite à gauche, avec des points au milieu. Il passa le rouleau et le pinceau à tous les cheiks qui signèrent successivement.

« Je ne croyais pas que les Arabes eussent leurs contrats de mariage, dit l’interprète dans ses dents. »

Le père Servus n’osait pas répondre, et regardait.

Le cheik fit signe à deux jeunes enfans noirs et nus, dont la tête était couverte de calotes rouges, et ils coururent hors du péristyle du temple. Un instant après, ils revinrent, conduisant une petite jument naissante, toute faible et gracieuse, qui pouvait à peine se porter sur ses jambes grêles et trop longues ; une belle cavale libre et sans frein la suivait d’un air inquiet, la léchant ou la mordant doucement sur la crinière, comme pour la soutenir. On la plaça au milieu des Bédouins, et le cheik lut à haute voix :

« Je jure par l’Aurore, par la dixième nuit du mois djemady-el-Aouel, par le pair et l’impair et par l’arrivée de la nuit, que la belle Tarriba est fille de la rapide jument Sobba, qui couvre la terre de sa queue, issue de Lazaz, qui dépassait le Semoun ; de Mortagjez, plus vive que le tonnerre, issue elle-même d’Aldoldol, fille unique d’Al-Borack, la divine, jument du Prophète. Alla Kerim[2]. »

La tribu répéta Alla Kerim ; et la belle cavale grise, comme si elle eût attendu la fin de la cérémonie, saisit dans ses dents la crinière naissante de sa fille : on lui permit de la soulever et de l’emmener sur la fine poussière du Désert, comme pour lui apprendre à la fouler aussi légèrement qu’elle.

  1. La paix soit avec toi.
  2. Al-Coran. Chap. de l’Aurore.