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LITTÉRATURE.

variées, une grande facilité d’élocution, et qui vont jugeant, critiquant, prêchant. En vérité, ils parlent fort bien de tout. Ce n’est pas là l’embarras. Mais entre dire et faire il y a un abîme. Ces grands dissertateurs d’agriculture ne sauraient pas planter une laitue ; ces beaux parleurs de politique et d’administration, un greffier de village les embarrasserait ; ces superbes aristarques de poésie passeraient une heure à poser sur leurs pieds quatre vers prosaïques ; ces fameux capitaines en paroles seraient de détestables caporaux, si on les prenait au mot.

Dès qu’un homme consciencieux se dévoue à une carrière, à une fonction publique, à un art, à un métier, à une profession quelconque, magistrat ou commerçant, prêtre ou soldat, marin ou laboureur, poète ou géomètre, ouvrier même, il doit se dire : Combien la chose où je vais mettre la main s’est perfectionnée progressivement de siècle en siècle, d’homme en homme, avant ma naissance ! combien elle fera encore de progrès après ma mort. Ma vie sera donc bien peu devant l’immensité de mon œuvre, si je veux être, un jour, de ceux qui l’auront fait avancer d’un pas. Il faut donc m’y consacrer tout entier, car ce n’est qu’ainsi que j’aurai pu accomplir ma tâche humaine, et laisser quelque trace de mon passage sur la terre ou sur le coin de terre que j’occupe.

Celui qui se parlera ainsi méritera de réussir, et il réussira, non pas peut-être à faire fortune, qu’importe ? nous ne considérons ici que le côté noble des choses ; mais à se faire un nom illustre dans l’univers, ou une réputation honorable dans le cercle de sa destinée.

Il en est des professions dans la société comme des genres dans les arts. Ce ne sont ni les genres ni les professions qu’il faut considérer, mais la manière dont on traite les uns ou dont on remplit les autres. Il vaut mieux bien faire une petite chose que d’en faire médiocrement une grande. Le tout est de se rendre compte de soi-même, et de reconnaître à quoi l’on est bon… à moins que l’on ne soit bon à rien : ce