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LITTÉRATURE.

si le temps vous manque ? D’une manière ou de l’autre, il n’y a de salut que dans la spécialité. La vôtre, c’est la gloire littéraire, la gloire immortelle ; ne la quittez pas pour quelques avantages, trop achetés, pour une immortalité de trois jours. Ne descendez pas de votre trône : il resterait vide celui-là.

Eh quoi ! sentir en soi tout ce qu’il faut pour conduire les hommes ou diriger les affaires, et abandonner le monde aux médiocrités !… Et (chose bien plus triste) s’entendre traiter de visionnaire, de rêve-creux, de… monsieur le poète, par le plus petit homme politique !… Laissez dire ; laissez glapir à vos pieds cette éternelle criaillerie de l’infériorité envieuse. Ayez la noble conscience de vous-même et de votre mission. Lord Byron fuit les orages mesquins du parlement d’Angleterre pour essayer des tempêtes de l’océan, moins turbulentes encore que celles de son propre cœur ; et l’Europe entière se tourne vers l’exil du poète, et la voix lointaine d’une lyre fait plus de bruit que toutes les harangues de tous les pairs des trois royaumes. Il plaît à Voltaire de se mêler des choses de ce monde, de faire l’application de la littérature à la politique ; et, comme on l’eût dit de son temps, d’atteler Pégase au char du siècle ; quel ministre, quel député aura jamais l’influence politique de Voltaire, poète, historien et philosophe ? Quelle tribune sera jamais aussi élevée que celle de Ferney ? Donc, si vous voulez descendre dans l’arène des intérêts humains, présentez-vous avec vos armes de poète ; au moins serez-vous sûrs que l’on ne vous combattra point à armes égales. Qu’avez-vous besoin de fonctions officielles, pourquoi vous tourmenter de n’être ni électeurs ni éligibles ? vous serez les seuls élus des siècles. Vous lancez vos feuilles prophétiques, gouvernans et gouvernés se fâchent ou se moquent, puis les idées et les choses tournent comme vous le saviez d’avance, et c’est vous qui, par le fait, dirigez les hommes politiques à leur insu. Ils ne sont réellement que vos ministres. Ils se contentent de ce rôle, contentez-vous du vôtre ; et pour rester au-dessus d’eux, ne cherchez pas à être l’un d’eux.