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ESQUISSES MORALES.

Mais, si l’immortalité est beaucoup, la vie est bien quelque chose ; tout poète, tout philosophe que l’on soit, on a un corps, une famille, des besoins matériels, on n’est pas dépourvu de tout intérêt, de toute ambition de ce monde. Certes ; et je voudrais que la première dignité de l’état, pairie ou sénat, fût promise à la vieillesse des grands écrivains. Ils seraient un des élémens nécessaires et irrécusables de la nouvelle aristocratie. Je voudrais que dans leur jeunesse même, quand la fortune a des torts envers eux, la société s’empressât de les réparer, car il est certains travaux littéraires, les productions poétiques surtout, qui, selon les époques et les événemens, peuvent ne pas donner de long-temps les moyens d’exister à ceux dont ils honorent l’existence. Il n’est pas bon que le talent souffre, ou se dégrade pour ne plus souffrir. Quel inconvénient y aurait-il donc à ce que des emplois pour ainsi dire fictifs, qui ne seraient que des sortes de dotations honorables, procurassent aux jeunes écrivains qui n’ont rien que beaucoup de talent, des loisirs qu’ils occuperaient si bien ! En n’accordant ces nobles faveurs qu’à ceux qui les méritent réellement, et qui en ont réellement besoin, l’état ne ferait pas de folles dépenses, je vous en réponds. Cela se réduirait à peu de chose et à peu de personnes ; et ce peu d’argent ainsi semé, se récolterait en moisson dorée. — Par exemple, on crierait encore aux sinécures. C’est bien le cas, en vérité ! sinécures !… barbares ! Le lion et la giraffe ont des sinécures aussi, et personne ne s’en plaint, pas même les chevaux de fiacre.

Voilà ce que je répondis l’autre jour à ce gros fonctionnaire que vous avez oublié, j’espère, et dont nous ne parlerons plus.

Un des grands crimes de lèse-spécialité, c’est de confondre les beaux-arts avec les arts mécaniques dans les mêmes hommages ou dans les mêmes travaux : les beaux-arts, chose sublime ; les arts mécaniques, chose excellente, mais d’autant plus inconciliables ensemble, qu’ils paraissent se toucher par quelques points, et que l’opinion de la foule peut