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LITTÉRATURE.

s’égarer facilement, si les limites qui séparent ces deux mondes ne sont pas sévèrement gardées.

C’est ainsi que le goût et la convenance réprouvent les savantes et magnifiques peintures dont on surcharge maintenant la porcelaine : on ne sait plus si Sèvres est une manufacture ou un atelier ; on ne sait plus si l’on tient une assiette ou un tableau. La transparence, la blancheur de la pâte, sont perdues sous les fonds entièrement peints et sous les sujets composés ; et l’art ne doit pas déployer toute sa magnificence sur une chose qui est déjà un chef-d’œuvre comme métier, et qui va se casser. Des fleurs, des oiseaux, des fruits, des arabesques, voilà ce qu’il faut pour de la peinture cuite; c’est ce qu’on faisait autrefois, et on faisait bien. La peinture alors n’était qu’un ornement qu’on rendait aussi parfait que possible, mais elle n’avait d’autre prétention que de relever encore la beauté de la porcelaine, comme un léger accompagnement fait valoir le chant. On lui savait gré de son rôle accessoire : c’était une reine qui vient en négligé honorer de sa présence une noce de fraîches villageoises. Aujourd’hui, dans cette joûte entre l’art et le métier, il y a un talent énorme, une difficulté immense, un luxe exorbitant, mais surtout un vrai chaos, un hymen incompatible, un enfantillage sacrilége. Cela me rappelle cet Anglais à qui l’on apportait un œuf dans lequel il y avait un poulet : « Vous serait-il égal, demanda-t-il, de me donner l’œuf et le poulet séparément ? je paierai tout ce qu’il faudra. »

C’était aussi une malheureuse idée que d’exposer les produits de l’industrie sous les voûtes du Musée. L’industrie doit avoir un culte spécial dans un temple à elle, et ce temple ne saurait être trop splendide ; mais ne plaçons plus Mercure sur les autels d’Apollon. Il en résultait d’ailleurs d’étranges méprises et des comparaisons grotesques : en voyant les toiles de Jouy si près de celles de Raphaël ou de Rubens, il y avait de braves gens… des électeurs, parbleu ! qui se demandaient entre eux : « Que préférez-vous de ce velours peint, de cette popeline brochée, ou bien de cette descente de croix