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tions à demi-voix sur la grande question, la question chevaleresque, la question éternelle, celle du dévouement en amour, à laquelle restent, comme réponse, une ou deux belles et immortelles anecdotes par siècle, comme celles de Roméo, de Paul, de Werther, de Desgrieux, etc. etc. Chaque femme cherche en son cœur lequel de ces hommes passionnés et malheureux elle doit donner pour modèle, elle jette son nom dans sa conversation d’entr’acte en jouant avec son éventail ; celui à qui elle parle commence par arranger ses cheveux et sa cravate, froncer les sourcils avec tristesse, mais non sans douceur, et puis il cite celui des noms qui lui sied le mieux, on s’anime, on prend parti pour son champion, et ce combat a cela de bon, que, de quelque côté que reste la victoire, elle tournera au plus grand bien de tous deux ; que monsieur cède à madame, ou madame à monsieur, tous deux auront cédé à l’influence d’Antony. Oh ! bel art de la scène, si tu corriges les mœurs, ce n’est pas en riant cette fois !

Non, on ne rit pas, on pleure peu, mais on souffre beaucoup en voyant ce drame. On éprouve cette nerveuse agitation des personnages qui crispe les mains et les pieds malgré qu’on en ait, comme si on voyait quelqu’un toujours prêt à tomber d’un toit. Cette jeune femme est comme menacée par un vautour qui tourne sur elle. L’épouvante saisit pour elle à la vue de ce jeune homme convulsif, qui porte en lui-même deux causes d’exaltation, son amour d’abord, puis cette rancune de bâtard et d’orphelin qui lui fait bouillonner dans le cœur une éternelle rage contre la société. On pressent (et c’est habile à l’auteur), on pressent que cet homme, toujours en garde contre tous, qui a toujours l’épigramme à la bouche et le poignard à la main, saisira la première occasion de se donner une victime. Et qui choisira-t-il ? Cette douce et gracieuse beauté qu’il a perdue en combinant froidement l’héroïsme, en calculant sur sa pitié, en ensanglantant son salon de soie pour qu’elle l’y garde, en volant ses faveurs sur la grande route comme un brigand… Ce serait horrible si ce n’était utile et moral. — Il ne m’est pas pos-