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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

Une autre opposition se manifestait dans les masses ; elle éclatait parfois d’une façon bizarre dans les individus : c’était un désaccord plus ou moins profond, mais toujours positif et réel, entre les mœurs et les opinions. Les mœurs, qui jusque-là avaient toujours reproduit les opinions, avaient cessé de le faire aussi fidèlement ; elles étaient en arrière, et cela devait être, car les opinions, se formant dans la sphère intellectuelle, ne peuvent, par une raison que j’ai déjà dite, se réaliser immédiatement par les mœurs. Le jury, le divorce, en étaient des exemples, mais surtout la liberté de la presse, dont ceux qui s’en proclamaient les plus ardens défenseurs ne laissaient pas de se montrer alarmés, par une sorte de pudeur qui s’effarouche de toute publicité, lors même qu’elle est innocente, inoffensive.

Les masses suivaient les hommes éminens qui marchaient vers l’avenir ; j’aurais dû dire qu’elles les y poussaient, car les supériorités qui les dominent, le génie lui-même qui paraît les entraîner, ne sont d’ordinaire que des manifestations plus ou moins éclatantes de leur instinct confus ; et les masses ont le sentiment profond de leur avenir.

Ici cependant, et il faut le dire, car justice est due à tous, des esprits distingués, de nobles caractères, se faisaient remarquer parmi ceux qui s’égaraient dans les voies du passé, et qui ne devaient plus marcher à la tête des peuples. Parmi eux brillait, entre tous, un homme éminent par de puissantes facultés, M. de Maistre, génie fier et hautain, prophète du passé, pour qui le livre de l’avenir était fermé d’un triple sceau. Il marchait dans son siècle, égaré dans son siècle, ne le voyant ni ne le comprenant. Il semblait que la Providence, après l’avoir ébloui de la vue éclatante de la société