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GEORGE FARCY.

vieilli ; de ta raison qui te disait que rien ne dure ; de ta sagacité judicieuse qui te représentait les inconvéniens, les difficultés et les suites ; de tes sens fatigués qui n’environnaient plus, comme à dix-neuf ans, l’être unique de la vapeur d’une émanation lumineuse et odorante ; ce n’était pas l’amour, c’était l’harmonie de tes facultés et de leur développement que tu avais brisé dans ton être ! Ton malheur est celui de bien des hommes de notre âge.

Farcy se disait pourtant que cette disproportion entre ce qu’il savait en idées, et ce qu’il avait éprouvé en sentimens, devait cesser dans son âme, et qu’il était temps enfin d’avoir une passion, un amour. La tête, chez lui, sollicitait le cœur, et il se portait en secret un défi, il se faisait une gageure d’aimer. Il vit beaucoup, à cette époque, une femme connue par ses ouvrages, l’agrément de son commerce et sa beauté, s’imaginant qu’il en était épris, et tâchant, à force de soins, de le lui faire comprendre. Mais soit qu’il s’exprimât trop obscurément, soit que la préoccupation de cette femme distinguée fût ailleurs, elle ne crut jamais recevoir dans Farcy un amant malheureux. Pourtant il l’était, quoique moins profondément qu’il n’eût fallu pour que cela fût une passion. Voici quelques vers commencés que nous trouvons dans ses papiers :


Thérèse, que les dieux firent en vain si belle ;
Vous que vos seuls dédains ont su trouver fidèle,
Dont l’esprit s’éblouit à ses seules lueurs,
Qui des combats du cœur n’aimez que la victoire,
Et qui rêvez d’amour, comme on rêve de gloire,
L’œil fier et non voilé de pleurs ;


Vous qu’en secret jamais un nom ne vient distraire ;
Qui n’aimez qu’à compter, comme une reine altière,
La foule des vassaux s’empressant sous vos pas ;
Vous à qui leurs cent voix sont douces à comprendre,
Mais qui n’eûtes jamais une âme pour entendre
Des vœux qu’on murmure plus bas ;


Thérèse, pour long-temps, adieu…