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VOYAGES.

Après la mort d’Alphonse, la fortune changea. Ferdinand, son fils, eut besoin de toutes ses forces pour combattre dans le duc Jean d’Anjou un compétiteur puissant, et dans le prince de Tarente, un rebelle ingrat et fort.

Assiégé dans Barletta par le condottiere Jacques Piccinino, à la solde des Angevins, c’était fait de sa couronne, lorsqu’on vit blanchir des voiles à l’horizon. Scander-Beg, aussi reconnaissant qu’infatigable, avait profité d’une trève demandée par l’altier Bajazet, pour porter du secours au fils de son ancien allié. Il le délivra, prit Trani, et, parcourant les vastes plaines de Pouille à la tête de sa cavalerie, ravagea les terres du prince de Tarente[1], battit Piccinino, et contribua à la victoire décisive de Troïa, qui assura la couronne aux Aragonais.

Scander-Beg reçut en présent de Ferdinand (1461) San-Pietro-in-Calatina, petite ville de Pouille, et c’est la

  1. L’historien napolitain Summonte nous a conservé une correspondance curieuse du seigneur de l’Albanie avec le prince de Tarente. « Que t’ai-je fait, lui écrivait ce dernier, pour venir m’attaquer chez moi ? Tu crois peut-être avoir à faire à tes Turcs amollis, mais détrompe-toi. Nous estimons tes Albanais comme des moutons (come pecore), et nous rougissons d’ennemis si vils. N’ayant pu défendre ton toit, tu viens envahir le nôtre. Tu ne trouveras que ton tombeau. » La réponse de Scander-Beg est belle et énergique. Il reproche au prince de Tarente son ingratitude envers la maison d’Aragon, et lui dit que la reconnaissance lui fait un devoir sacré, à lui, de secourir le fils d’un roi qui l’avait secouru. « Tu n’es pas moins Turc que les Turcs, ajoute-t-il ; aussi bien dit-on que tu n’es d’aucune religion. Quant à mes Albanais, tu ne les connais pas ; nous descendons des Épirotes, qui ont donné pour ennemi aux Romains, Pyrrhus, et des Macédoniens, qui ont donné pour vainqueur à l’Inde, Alexandre. Et que me parles-tu, toi, de tes Tarentins, race énervée qui n’est bonne qu’à prendre du poisson. Si je trouve ici mon tombeau, dit-il en finissant, Dieu, qui connaît mes pensées, me jugera. »