Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
DE L’AVENIR DES RELIGIONS.

ne sait pas où ses pieds le conduisent, et ce qu’il veut faire de lui-même ? Que chacun achève donc son œuvre ; mais que nul n’attende la visite du maître : il ne viendra que lorsque, la tâche se trouvant accomplie, il faudra en donner une nouvelle au monde.

Or, c’est la dignité de notre époque de ne pouvoir se résigner à ce dénuement, et de se faire à elle-même des cultes prémédités. Comme si les grands cultes de l’antiquité avaient épuisé partout où ils se sont établis les harmonies divines départies à chaque lieu, c’est là où ils se sont formés que la pensée religieuse a été le plus vite effacée. Dès l’origine, la Grèce, l’Italie et l’Espagne ancienne ont formé de leur souffle et nourri de leur âme ce grand polythéisme qu’elles ne peuvent quitter. À lui elles ont donné leur ciel, leur lumière, l’esprit de leurs montagnes, la voix de leurs forêts ; à lui les dômes de leurs sommets de marbre ; à lui les bois de myrtes verts, le vent sous leurs rameaux, le soleil sur les monts ; à lui les flots, les eaux cachées, et l’âme qui remue tout cela. Au Dieu moderne, elles n’ont laissé que les chapelets dans les couvens, les os des évêques autour des cimetières, les prières du soir des femmes de Grenade, et quelquefois une brise de mer qui passe sur ces trois mondes et tire un sourd murmure de ce sépulcre vide. Après avoir épuisé le génie de ces contrées, la pensée religieuse s’est retirée des extrémités au centre de l’Europe. Plus la vie lui manquait, plus elle l’a recueillie de toutes parts au cœur de la race germanique. La destinée entière de cette race, son origine orientale qu’elle aperçoit encore, le génie de ses mythologies scandinaves, l’âme de ses épopées du moyen âge déborde dans l’idée du panthéisme qui se répand avec elle. Ce que dans l’antiquité les Alexandrins firent pour les religions