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VOYAGES.

formée ; ses reins étaient ceints d’une ample pièce d’étoffe roussâtre et luisante ; une chevelure noire et abondante tombait sur son cou, et, comme parure, sans doute, une natte très-fine de cheveux traversait son front d’une tempe à l’autre. En toute autre circonstance, l’apparition de cet échantillon d’une race nouvelle pour nous eût excité notre curiosité, mais au milieu du trouble et de la confusion du moment, il fut assez mal accueilli. Quoi qu’il en soit, il fit bonne contenance, et répétant d’un air de dignité qu’il était un grand chef, il alla se placer sur la dunette, qu’il occupa sans désemparer jusqu’à la fin de nos infortunes. Sa conduite fut étrange pendant ce temps d’épreuves. Dans les momens où notre perte paraissait imminente, Touboo-Dodaï (ainsi se nommait cet homme) était rayonnant de plaisir ; sa joie, qu’il ne cherchait pas à déguiser, mettait quelquefois notre patience à bout. Si le moment eût été plus favorable aux conceptions poétiques, il n’eût tenu qu’à nous de voir en sa personne le mauvais génie de l’Astrolabe assis sur la poupe, et applaudissant par son infernal sourire aux efforts de la mer pour dévorer sa proie.

Dans cette même soirée, nous vîmes avec étonnement trois Anglais arriver au milieu de nous : le premier était un jeune homme fort beau, qui différait bien peu par la couleur des naturels du pays, dont il portait le costume ; on le nommait John. Singleton et Ritchett, ses compagnons, avaient conservé des vêtemens européens. Ces trois hommes considéraient notre position comme désespérée ; vivant dans l’île, sous le patronage de Palou, l’un des principaux chefs, ils étaient venus pour nous assurer des bonnes dispositions de cet important personnage.