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ÉPOPÉE DES BOHÊMES.

la moitié, des appels aux armes, puis des paysages, des forêts, des montagnes, puis une action, qui passent et qu’on a vus à peine, feraient croire que ces poèmes ont été composés en poursuivant son ennemi à perdre haleine, à travers les steppes. Le mécanisme des plus anciens contribue encore à augmenter cet effet. Les strophes sont composées dans le trochée de cinq pieds analogue à l’iambe de Shakspeare. Mais pour peu que l’action gagne de vitesse, la mesure se raccourcit arbitrairement et s’enfuit sans frein avec elle. Dans un de ces poèmes, deux frères, devant une assemblée royale, viennent exposer leurs droits à l’héritage d’un chef de tribu. Tous les autres sont des chants de guerre, et représentent ainsi à merveille l’existence si long-temps débattue des Slaves. Il faut qu’ils aient été inspirés bien près des événemens, et presque sur le champ de bataille, car ils les suivent avec une angoisse qui s’efface toujours à distance. La fable ne s’y est encore que peu ou point mêlée à l’action, et ils tirent toute leur beauté de leur réalité présente et passionnée, du bruit des haches, des hennissemens des chevaux, des flancs de la montagne, des détours du sentier. Tout haletans, ils font encore partie des événemens, soit qu’en effet le temps ait manqué pour y ajouter un autre drame que celui de l’histoire, soit plutôt que ce soit le génie même de la race slave de s’éprendre seulement de la partie la plus réelle de l’univers, et de lui subordonner l’idéal jusque dans sa fantaisie. Dans leur course vagabonde, ils font le lien des traditions épiques de l’Europe avec la poésie des Tartares et de la Mongolie[1], de la même manière qu’en Allemagne et en France les épopées d’Artus et les poèmes carlovingiens rattachent par un autre anneau la poésie de l’Occident à

  1. Voyez à ce sujet l’importante publication qu’un savant orientaliste, M. J. Mohl, vient de faire de la traduction des chants populaires de la Chine, par le père Lacharme, Confusii Chi-King sive liber Carminum