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ALBUM.

Tout cela est dans l’œuvre de M. Victor Hugo, tout cela tourne autour de deux personnages, et quels sont ces personnages, qui mettent en émoi ministre, roi, jeunes seigneurs ? Une courtisane, un enfant trouvé[1].

Il est vrai que c’est une créature singulièrement poétique que cette Marion Delorme, Aspasie du xviie siècle, dans la ruelle de laquelle il n’est pas un seigneur de l’époque qui n’ait jeté son rouleau d’or, et qui redescend de cette cour, où elle pouvait choisir ducs, marquis, hommes d’état, gens de guerre, depuis la robe rouge du cardinal jusqu’au pourpoint de buffle d’un capitaine des gardes, pour prendre dans la rue, sur la pierre où l’a abandonné sa mère, ce Didier, cette création toute de poésie, abstraction de vertu qui, ne tenant à rien, a le droit de tout mépriser et le méprise ; cette Marion qui s’épure au feu de son âme, se refait une virginité nouvelle avec un amour nouveau, et, au cinquième acte, hésite à accorder, pour sauver la vie à l’homme pour lequel elle donnerait la sienne, ces faveurs qu’au premier acte elle vendait à prix d’or. Ce n’est pas la Marion de l’histoire, c’est la Marion du poète : prenons-la telle qu’il l’a faite avec son imagination chaste et son cœur pur, et la fable nous consolera de la réalité.

Tout le monde connaît maintenant l’analyse de l’action. Les duels font en France des ravages affreux ; Richelieu poursuit ce fléau de tout son pouvoir ; les jeunes gens n’en tiennent compte, ils continuent à se battre, et de temps en temps Richelieu appelle le bourreau à son aide, et deux têtes tombent.

Lorsque M. Hugo composa Marion Delorme, la censure interdisait formellement sur le théâtre l’entrée de tout personnage à robe rouge ou noire. Richelieu resta donc, pour ainsi dire, derrière la toile du fond, et de là fit mouvoir inaperçu le vaste drame, qui commence dans un boudoir, et finit sur un échafaud.

Un homme médiocre, lors de l’abolition de la censure, aurait cru tirer meilleur parti de Richelieu vu, que de Richelieu deviné, et vite il se serait empressé de traîner par les pieds ou les cheveux, le cardinal sur la scène. M. Hugo a compris que là n’était pas le

  1. Nous sommes heureux à cette occasion de rétablir un fait. Nous avons entendu dire que Didier était une imitation d’Antony. M. Dumas nous prie de consigner ici que Marion Delorme était faite un an avant que lui-même ne songeât à Antony ; qu’il connaissait Marion Delorme avant de faire Antony, et que, par conséquent, s’il y a plagiat, c’est de sa part, et non de celle de M. Victor Hugo.