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véritable effet ; que mieux vaut parler à l’imagination qu’aux yeux ; à l’intelligence qu’à la matière ; et l’œuvre, qui ne pouvait que perdre à être retouchée, est restée ce qu’elle était. Seulement, poussant la délicatesse à l’excès peut-être, l’auteur a voulu attendre l’assoupissement des haines pour produire un ouvrage qui pouvait réveiller les haines, et s’est imposé la plus dure condition que puisse s’imposer un auteur ; celle de retarder d’un an un succès que tous ses amis lui présentaient comme grand, sûr et beau ; c’est que M. Hugo est de cette rare classe d’hommes qui ont le respect des choses passées à un plus haut degré que le respect des choses qui existent. Il raconte lui-même, en d’éloquentes paroles, les raisons qui le firent retarder la représentation de son ouvrage.

« Après l’admirable révolution de 1830, dit-il, le théâtre ayant conquis sa liberté dans la liberté générale, les pièces que la censure de la restauration avait inhumées toutes vives brisèrent du crâne, comme dit Job, la pierre de leur tombeau, et s’éparpillèrent en foule et à grand bruit sur les théâtres de Paris, où le public vint les applaudir, encore toutes haletantes de joie et de colère. C’était justice. Ce dégorgement des cartons de la censure dura plusieurs semaines, à la grande satisfaction de tous. La Comédie-Française songea à Marion Delorme. Quelques personnes influentes de ce théâtre vinrent trouver l’auteur ; elles le pressèrent de laisser jouer son ouvrage, relevé comme les autres de l’interdit. Dans ce moment de malédiction contre Charles x, le quatrième acte, défendu par Charles x, leur semblait promis à un succès de réaction politique. L’auteur doit le dire franchement, comme il le déclara alors dans l’intimité aux personnes qui faisaient cette démarche près de lui, et notamment à la grande actrice qui avait jeté tant d’éclat sur le rôle de dona Sol : ce fut précisément cette raison, la probabilité d’un succès de réaction politique, qui le détermina à garder, pour quelque temps encore, son ouvrage en portefeuille. Il sentit qu’il était, lui, dans un cas particulier. Quoique placé depuis plusieurs années dans les rangs, sinon les plus illustres, du moins les plus laborieux, de l’opposition ; quoique dévoué et acquis, depuis qu’il avait âge d’homme, à toutes les idées de progrès, d’amélioration, de liberté ; quoique leur ayant donné peut-être quelques gages, et entre autres, précisément une année auparavant, à propos de cette même Marion Delorme, il se souvint que, jeté à seize ans dans le monde littéraire par des pas-