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DE LA PROPRIÉTÉ.

tentation de prendre beaucoup pour eux, et de donner peu aux autres. La population plébéienne, la force et la substance de Rome, infanterie de fer qui gagnait les batailles, ne reçut pas son lot légitime, et resta prolétaire, malgré ses conquêtes de tous les jours. L’injure était flagrante. Aussi le sénat ne repoussa jamais directement les propositions des tribuns sur le partage des terres : il savait qu’au fond la démocratie avait raison. Les tentatives des tribuns s’étaient succédé, sans grands résultats, jusqu’au commencement du viie siècle de Rome, quand, après la ruine de Carthage et de Corinthe, éclata l’entreprise des Gracques, si méconnus, si calomniés. On en a fait des démagogues furieux, sans intelligence, voulant un nom à tout prix ; et Juvénal s’est rendu l’écho de ce lieu commun misérable :


Quis tulerit Gracchos de seditione querentes ?


Tant les poètes ont parfois d’aveuglement et d’insuffisance pour comprendre les idées et les révolutions ! Les Gracques eurent le malheur de ne pouvoir développer leurs intentions et leurs desseins que par une commotion de l’État ; mais c’étaient les meilleurs citoyens de Rome : dévoués au peuple, ils sont morts pour lui.

Le mal en était venu à ce point où la patience n’est plus possible. La démocratie se trouvait tout-à-fait en dehors de la propriété, frustrée de ce qui donne à la vie de l’homme sécurité, douceur et puissance. Depuis Licinius Stolon, qui avait porté une loi, dans la dernière moitié du ive siècle, ne quis plus quingenta jugera agri possideret, et qui fut condamné quelques années après pour en posséder dix mille, tant la pente était irrésistible ! les abus avaient horriblement grandi, et ne pouvaient être corrigés que par une révolution. Tibérius Gracchus résolut fermement de l’accomplir. Sa mère l’y encouragea, car cette femme aimait ses enfans ; mais elle aimait encore plus la gloire de ses enfans.