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LE RENDEZ-VOUS.

grosse caisse sonore, était répété par les échos du palais impérial, et ressemblait à ces coups de tonnerre lointains qui annoncent un orage.

Un enthousiasme indescriptible éclatait dans l’attente de la multitude. La France allait faire ses adieux à Napoléon, à la veille d’une campagne dont le moindre citoyen prévoyait les dangers. Il s’agissait, cette fois, pour l’empire français, d’être ou de ne pas être.

Cette pensée semblait animer toute la population citadine et toute la population armée, qui se taisaient dans l’enceinte où planaient l’aigle et le génie de Napoléon.

Ces soldats, espoir de la France, ces soldats, sa dernière goutte de sang, entraient pour beaucoup dans la silencieuse et inquiète curiosité des spectateurs. Entre la plupart des assistans et des soldats, il se disait des adieux peut-être éternels ; mais tous les cœurs, même les plus hostiles à l’empereur, adressaient au ciel des vœux ardens pour la gloire de la patrie. Les hommes les plus fatigués de la lutte commencée entre l’Europe et la France avaient déposé leurs haines en passant sous l’arc de triomphe, comprenant qu’au jour du danger, Napoléon, c’était la France.

L’horloge du château sonna une demi-heure. En ce moment les bourdonnemens de la foule cessèrent, et le silence devint si profond, que l’on eût entendu la parole d’un enfant. Ce fut alors que le vieillard et sa fille, qui semblaient ne vivre que des yeux, purent distinguer un bruit d’éperons, un cliquetis d’épées tout particulier, qui retentit sous le sonore péristyle du château.

Un petit homme, vêtu d’un uniforme vert, d’un pantalon blanc, et chaussé de bottes à l’écuyère, parut tout à coup en gardant sur sa tête un chapeau à trois cornes aussi prestigieux qu’il l’était lui-même. Le large ruban rouge de la Légion-d’Honneur flottait sur sa poitrine. Une petite épée était à son côté.

Il fut aperçu par tout le monde, et de tous les points à la fois.