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LITTÉRATURE.

jeté les yeux sur ce visage, auquel de paternelles inquiétudes donnaient un air abattu.

— Souffrez-vous beaucoup ?… demanda-t-elle avec indifférence, tant elle était préoccupée.

— Chaque jour n’est-il pas un jour de grâce pour moi ?… répondit le vieillard.

— Ah ! vous allez encore m’affliger en me parlant de votre mort ! J’étais si gaie !… Voulez-vous bien chasser vos vilaines idées noires…

— Ah ! s’écria le père en poussant un soupir, enfant gâté !… Les meilleurs cœurs sont quelquefois bien cruels !… Vous consacrer notre vie, ne penser qu’à vous ou à votre bien-être, sacrifier nos goûts à vos fantaisies, vous adorer, vous donner même notre sang !… ce n’est donc rien ! Vous acceptez tout avec insouciance ; et, pour toujours obtenir vos sourires et votre dédaigneux amour, il faudrait avoir la puissance de Dieu ! Puis enfin, un autre arrive ! Un amant, un mari nous ravissent vos cœurs !…

Julie regarda son père avec étonnement. Il marchait lentement, et jetait sur elle des regards sans lueur.

— Vous vous cachez même de nous… reprit-il, mais peut-être aussi de vous-même…

— Que dis-tu donc, mon père ?…

— Je pense, Julie, que vous avez des secrets pour moi ?…

Elle rougit.

— Tu aimes !… reprit vivement le vieillard. Ah ! j’espérais te voir jusqu’à ma mort fidèle à ton vieux père, j’espérais te conserver devant moi heureuse et brillante ! t’admirer comme tu étais encore naguère. En ignorant ton sort, j’aurais pu croire à un avenir tranquille pour toi ; mais maintenant il est impossible que j’emporte une espérance de bonheur pour ta vie, car tu aimes encore plus le colonel que le cousin !… Je n’en puis plus douter…

— Pourquoi ne l’aimerais-je pas ?… s’écria-t-elle avec une vive expression de curiosité.