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LE RENDEZ-VOUS.

se faire deux jeunes filles ignorantes et modestes ? Tu te demandes souvent, m’écris-tu, pourquoi je n’ai répondu depuis six mois que par un morne silence à tes interrogations curieuses ?… Ma chère, tu devineras, peut-être, le secret de mes refus en apprenant les mystères que je vais trahir. Je les aurais à jamais ensevelis dans le fond de mon cœur, si tu ne m’avertissais pas de ton prochain mariage.

» Tu vas te marier, Louisa ?… Cette pensée me fait frémir. Ô pauvre petite, marie-toi, et dans quelques mois, un de tes plus poignans regrets te viendra du souvenir de ce que nous étions naguère, quand un soir, à Écouen, parvenues toutes deux sous les grands chênes de la montagne, nous contemplâmes la belle vallée que nous avions à nos pieds, et que nous y admirâmes les rayons du soleil couchant, dont les reflets nous enveloppaient.

» Nous nous assîmes sur un quartier de roches, et tombâmes dans un ravissement auquel succéda une douce mélancolie. Tu trouvas la première que ce soleil lointain nous parlait d’avenir. Nous étions bien curieuses et bien folles alors ! Te souviens-tu de toutes nos extravagances ? Nous nous embrassâmes comme deux amans, disions-nous, et nous nous jurâmes que la première mariée de nous deux raconterait fidèlement à l’autre ces secrets d’hyménée, ces joies que nos âmes enfantines nous peignaient si délicieuses.

» Cette soirée fera ton désespoir, Louisa, car alors tu étais jeune, belle, insouciante, sinon heureuse, et un mari te rendra en peu de temps ce que je suis déjà, — laide, souffrante et vieille.

» Te dire combien j’étais fière, vaine et joyeuse d’épouser le colonel Victor d’Aiglemont, ce serait une folie ! Et même comment te le dirai-je ? je ne me souviens plus de moi-même. En peu d’instans mon enfance est devenue comme un songe.

» Ma contenance pendant la journée solennelle qui consacrait un lien dont j’ignorais l’étendue, n’a pas été exempte de reproches. Mon père a cherché plus d’une fois à réprimer ma gaîté, car je témoignais des joies qu’on trouvait incon-